Pierrick Sorin revisite Monteverdi

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 26 avril 2012 - 569 mots

Six ans que le théâtre du Châtelet met la rate des puristes au court-bouillon. Dernière bravade en date : Haydn et Kamel Ouali servis sur un même plateau. Et ce n’est pas l’affiche de la production en cours qui rassurera : guitare électrique enflammée façon Hendrix, sur Rome embrasée façon Néron, le tout d’une laideur graphique façon chambre d’ado. Reste le générique, qui peut tenter. Sur le plateau de Pop’pea, adaptation rock du Couronnement de Poppée (1642), l’ultime chef-d’œuvre baroque de Monteverdi, on trouvera Carl Barât, ex-Libertines avec Pete Doherty, en empereur incendiaire, et David Almond, icône new wave et ex-leader du cultissime Soft Cell en Sénèque ; quant à Othon le délaissé, c’est finalement Benjamin Biolay qui remplace à l’arrache Mark Daumail, moitié pop folk du duo Cocoon.
Cerise sur le cake, à la direction musicale, Pete Howard, dernier dieu batteur des Clash. Soit trois générations, pour une partition éclectique, mix de rap, jungle, rock avec accents punks et
reggae annoncés. Et Ian Burton, le dramaturge en charge de « moderniser » le livret de G. F. Busenello d’enfoncer le clou : « L’idée était de se rendre immédiatement accessible à la génération des 17-25 ans, plutôt qu’au public habituel de l’opéra – surtout celui de Monteverdi – qui ressemble généralement à un océan de cheveux blancs. » On est prévenus.

Othon enfourchant sa moto
Aux manettes scéniques de l’ovni : le plasticien Pierrick Sorin. Lui qui, en 2007, dans ces mêmes murs, avait dégourdi le public de la Pietra del Paragone de Rossini. Même dispositif pour ce néo-Monteverdi : caméras et décors manipulés en direct, avec fonds bleus et incrustations des chanteurs dans les décors. « Quoi qu’on me propose, il y a un invariant, c’est de transformer la scène en lieu de productions d’images en direct, précise l’artiste. Je ne conçois la mise en scène que comme ça. Je peux alors tout le temps changer d’univers. »
Résultat : un système superréactif « bricolé à la Tim Burton ». Othon rentre chez lui ? Le voilà juché sur une Suzuki avalant l’asphalte. Ou le littéralisme comme arme comique et outil subversif. « Le tragique s’accommode mal du spectacle vivant, avance Sorin. Chaque scène ou décor est pour moi le moyen de transgresser le tragique par l’image. » Quant à la musique, l’artiste l’écarte d’un revers de manche : « J’ai écouté l’opéra de Monteverdi une ou deux fois. Mais je n’ai pas de culture lyrique. Rossini était un peu jovial à mon goût, là, c’est plus ténu et ça me convient mieux. Mais ça n’est pas une musique qui me transporte. »
Pour le discours sur l’adaptation et les enjeux de la partition, on repassera. Sorin s’appuie sur le texte, bricole son affaire en solitaire, écrit son story-board avant de régler la vitesse des images sur la musique live. Un opéra qui le tenterait malgré tout ? Il y a bien cette Flûte enchantée avec production d’images en 3D qui s’annonce à Lyon pour 2013, mais l’enthousiasme est feutré. « Je ne connais pas encore l’opéra qui pourrait m’intéresser, s’excuse-t-il, mais il sera forcément contemporain et en phase avec le monde. » Reste que rien ne réussit mieux à Pierrick Sorin que de n’être pas à sa place. Après tout, n’est-ce pas le sous-texte d’une œuvre qui ne cesse de travailler l’inadaptation au monde ?

Pop'pea, du 27 mai au 7 juin 2012 au Théâtre du Châtelet.

Distribution

D’après Le Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi.

– Arrangement: Michael Torke.
– Livret : Ian Burton.
– Direction musicale et orchestration : Peter Howard.
– Conception scénique : Pierrick Sorin et Giorgio Barberio Corsetti.
– Costumes : Nicola Formichetti.

– Poppée : Valérie Gabail.
– Néron : Carl Barât.
– Sénèque : Marc Almond.
– Octavie : Fredrika Stahl.
– Othon : Benjamin Biolay.
– Drusilla : Anna Madison.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : Pierrick Sorin revisite Monteverdi

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