Art contemporain

Philippe Parreno, sa révolution au Palais

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 19 septembre 2013 - 1488 mots

En pleine préparation de sa carte blanche offerte par le Palais de Tokyo pour y occuper fin octobre tous ses espaces, l’artiste nous a reçu dans son atelier.

La porte de son atelier poussée, le visiteur a beaucoup de chance de le trouver installé devant son ordinateur, si absorbé par son écran qu’il ne se rendra pas compte que quelqu’un est entré. Quand il s’en apercevra, il lui fera un petit bonjour de la tête, signifiant qu’il est à lui tout de suite mais qu’il lui faut terminer ce qu’il est en train de faire. Dans les locaux situés en rez-de-chaussée de la petite rue intérieure d’un bel immeuble du 11e arrondissement parisien qu’il occupe depuis mars 2012, Philippe Parreno est entouré de quelques collaborateurs qui travaillent avec lui depuis plus ou moins longtemps. Assis comme lui devant leur ordinateur, ils s’empresseront toutefois de proposer un café, laissant l’hôte virevolter dans les deux grandes pièces d’environ 200 m2 naguère occupées par une boîte de production de films.

Uu team Parreno
Ce jour d’août où, en compagnie de Baptiste Lignel, le photographe, j’ai moi-même poussé la porte, il y avait là Marie, la directrice des projets, qui travaille avec Parreno depuis de très nombreuses années ; Tor, d’origine thaïlandaise, qui s’occupe du prototypage ; Aurélien, qui est en charge de tout ce qui concerne la conception design ; Tanguy, qui est responsable des plans, et Timothée, des prémontages. Étaient alors en vacances deux autres membres du team : Zoé, une vieille connaissance de Philippe qu’il a fait jouer autrefois dans l’un de ses films et qui collabore avec lui sur toutes les parties textuelles ; Virginie, enfin, investie des problèmes de régie et de logistique. Une équipe que l’on trouvera peut-être nombreuse, mais qui est nécessaire dès lors que l’on prend la mesure du mode de travail de Philippe Parreno dont le vecteur directeur est une réflexion autour de la question de l’exposition. Originaire de Grenoble, né en 1964, l’artiste parle volontiers de cette époque où il a fait ses études au lycée expérimental Mounier, ayant pour professeur de français le philosophe Gilles Lipovetsky. Puis où il était inscrit à l’École des beaux-arts, en même temps que Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Joseph et Bernard Joisten. La ville grouillait alors d’événements culturels, et Parreno ne s’en est pas privé : au Cargo, la fameuse Maison de la culture de Grenoble où il a fait son éducation cinématographique, vu Carolyn Carlson et Pina Bausch ; au musée où il a suivi les expositions organisées par Pierre Gaudibert ; enfin, au Magasin, créé par Jacques Guillot auquel sa génération est, souligne-t-il, considérablement redevable. Pareillement, il se rappelle avec bonheur, une fois installé à Paris, les trois mois passés à l’Institut des hautes études en arts plastiques et les passionnantes discussions avec Pontus Hultén, Buren, Lyotard, Tinguely et quelques autres.

Un cabinet d’étude
Derrière ses lunettes cerclées de noir, avec sa tonsure qui augmente la masse touffue de sa barbe poivre et sel, Philippe Parreno, jean et tee-shirt blanc, est un homme affable. Il parle lentement, n’hésite pas à interroger l’un de ses assistants s’il a un trou de mémoire sur telle ou telle référence, s’applique à commenter sur l’écran d’un ordinateur les images de certaines de ses installations. S’il dit combien il s’est longtemps attaché à travailler en collaboration avec d’autres artistes bien que cela ne lui soit plus arrivé depuis quelques années, il ne cache pas le plaisir qu’il a eu de voir son ami et collègue britannique Tino Sehgal réinterpréter la pièce qu’il a faite avec Ann Lee. Quoique nous soyons en plein mois d’août, Philippe Parreno et son équipe débordent d’activité. Il faut dire que nous sommes à deux mois et demi du vernissage de l’exposition que celui-ci doit faire au Palais de Tokyo. Enfin, exposition… pas exactement. Comment dire d’ailleurs ? Jean de Loisy, le patron de l’institution parisienne, a en effet invité Parreno à en occuper la totalité des espaces. Rien de moins. « C’est excitant, mais ce n’est pas, pour moi, de l’ordre d’un challenge », dit-il posément. Qu’il soit le premier à envahir tout le palais ne le préoccupe pas plus que cela. C’est simplement plus compliqué et une question de budget. « Pas plus un défi que de faire de l’art », finit-il par dire, précisant que l’intérêt du Palais de Tokyo est que ce n’est pas un musée, mais un centre d’art donc un lieu d’expérimentations. Et ça, Parreno aime. La recherche, c’est son élément. Il suffit de voir son atelier pour l’apprécier.

De fait, ce dernier a plus l’allure d’un cabinet d’ingénieur, d’architecte ou de graphiste que d’un atelier d’artiste plasticien au sens convenu du terme. Quand ils ne sont pas occupés par des rayonnages de dossiers, de bouquins ou de boîtes étiquetées contenant toutes sortes de matériels techniques, les murs sont recouverts de notes manuscrites, de documents imprimés, de plans, de photos, de programmes de travail, etc. On y repère pêle-mêle : un portrait de Marcel Duchamp – une trace sans doute de la prestation de Parreno, co-commissaire d’une exposition à Philadelphie mettant en scène l’œuvre de son aîné –, une photo d’Ann Lee – figure emblématique du travail de l’artiste, issue d’un manga japonais, que Parreno a cherché à faire agir « comme un logo actif » –, les images imprimées d’un sapin de Noël – vieux souvenir de la première installation de l’artiste consistant à dérégler les saisons par le décalage d’une fête de Noël célébrée en été 1993 et repris lors de son expo au Centre Pompidou en 2009 – et, enfin, une vue aérienne du Palais de Tokyo et deux autres d’un photomontage de la porte d’entrée surmontée de la marquise lumineuse qu’il va y disposer. Sur une grande table installée dans l’une des pièces de l’atelier trône tout un dispositif fait d’une sorte de cube en plexiglas et de différentes lampes. Parreno nous explique que c’est là un banc d’essai à l’expérience des lumières de cette marquise qui fonctionnera de jour comme de nuit et qui éblouira si fortement les visiteurs qu’une fois dans le hall, ils ne pourront plus percevoir les personnes qui s’y trouveront que comme des silhouettes. Ces jeux rétiniens intéressent particulièrement Parreno, comme tous les effets de décalage perspectif qu’il mettra en œuvre dans l’exposition. Sans vouloir dévoiler en totalité ce que celle-ci sera, il explique que le tempo général y sera réglé par une pièce musicale de Stravinsky – Petrouchka –, jouée par Mikhail Rudy sur un piano Disklavier automatique. Qu’il y aura des murs qui tremblent, des lumières qui frétillent, un robot dont la main dessine, lequel est sagement posé dans un coin de l’atelier. Philippe Parreno signale encore que le film qu’il a réalisé en 2005 avec Douglas Gordon sur Zidane fera l’objet de toute une installation inédite reconstituant les conditions de son filmage. Il sera ainsi projeté sur dix-sept écrans distribués dans l’espace à l’emplacement même où avaient été placées les dix-sept caméras utilisées à cet effet.

Conversation
Rien qu’à l’écouter parler de cet énorme projet du Palais de Tokyo et à voir le soin qu’il met à fouiller dans son ordinateur pour nous en montrer des images, on se dit que tout doit donc être bouclé et que ce n’est plus qu’une question de mise en place. Loin de là en réalité, mais Parreno n’est pas inquiet ; il est confiant même, tant en lui qu’en son équipe. « Il y a toujours un moment douloureux au début » où, avec Marie et Aurélien, ils en discutent, font des plans, échafaudent les cas de figure ; mais, passé celui-ci, tout le monde s’y met et c’est une excitation partagée. Au terme de notre visite, Philippe Parreno tient encore à nous parler de Postman Time, un opéra réalisé en 2007 avec Hans-Ulrich Obrist, constitué de toutes sortes d’interventions d’amis artistes dont Aitken, Barney & Bepler, Dean, Eliasson, Gordon, Huyghe, Sala, etc. Il y demandait pour sa part à un ventriloque de dire un texte qu’il avait écrit sur les rapports du temps et de l’œuvre d’art. Sans prétendre être théoricien, Parreno insiste sur le fait que, pour lui, « il n’y a pas d’art sans conversation… », « l’art est éminemment conversationnel ». Vérification faite !

« Philippe Parreno. Anywhere, Anywhere out of the World »

du 23 octobre 2013 au 12 janvier 2014. Palais de Tokyo. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de midi à minuit. Tarifs : 10 et 8 €.www.palaisdetokyo.com

1964 : Naissance à Oran

1991 : Exposition « No Man’s Time » à la Villa Arson, à Nice

2004 : Parreno réalise avec le plasticien anglais Douglas Gordon le film Zidane: A 21th Century Portrait

2012 : Scénographie de l’exposition « Dancing around the Bride » au Museum of Art de Philadelphie

2013 : Exposition « Anywhere, Anywhere out of the World » au Palais de Tokyo

Philippe Parreno vit et travaille à Paris

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Philippe Parreno, sa révolution au Palais

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