Paroles d’artiste

Philippe Parreno

« La partition, c’était son visage »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2006 - 842 mots

Le film Zidane. Un portrait du XXIe siècle, de Douglas Gordon (né en 1966 à Glasgow) et Philippe Parreno (né en 1964 à Oran), est un curieux objet. Focalisé sur le champion pendant toute la durée d’un match du Real Madrid contre l’équipe de Villareal, le 23 avril 2005, il intrigue non pas tant par son sujet que par son rendu. Il propose une appropriation visuelle du modèle dont l’approche plastique, nouvelle, initie nombre d’interrogations sur le portrait, le vocabulaire artistique et les possibilités de l’exposition.

Comment l’idée de faire ce film et de cette collaboration avec Douglas Gordon vous sont-elles venues  ?
Le projet est venu assez simplement et non à la suite d’un long brainstorming. Il est né d’une discussion avec Douglas alors que nous préparions une exposition, en 1996 je crois. Au départ, nous avons imaginé faire un film qui suivrait un seul personnage, lequel traverserait l’histoire. Puis nous avons pensé filmer un joueur de football pendant les 90 minutes que dure un match – qui est aussi la durée d’un film de cinéma –, et ensuite, nous avons eu l’idée de filmer Zidane. Nous sommes tous les deux fans de football. Zidane est un personnage que nous admirons sur le terrain. C’était aussi l’occasion de rompre avec une certaine idée donnée par la télévision.

Avez-vous cherché à déréaliser Zidane en le montrant de la sorte, « sous toutes les coutures » ?
Le cinéma est une machine à incarnation et nous avons essayé, plutôt que de déréaliser Zidane, de l’incarner, de le « réaliser » au contraire. C’est-à-dire de l’incarner dans ce qu’il a de plus humain, de sortir du visage télévisuel et de lui amener un corps. C’est vraiment une expérience d’incarnation. Il transpire, il crache…, on ne le saisit pas dans un instant glamour.

À propos du dispositif technique, où étaient situées les dix-sept caméras que vous avez utilisées ?
Tout autour du terrain, un peu en dessous de la hauteur du visage. Une autre caméra se trouvait un peu au-dessus, et nous disposions d’une caméra flottante dans les couloirs. Leur nombre a été défini par les possibilités existant autour du terrain, les emplacements disponibles. Il a fallu discuter avec les équipes de télévision. Nous aurions aimé en avoir plus.

Avez-vous cherché un rendu particulier de l’image ?
Oui. Nous avons travaillé sur la désaturation des couleurs et sur la lumière, pour avoir quelque chose de plutôt « dark », avec une lumière émanant de Zidane plutôt que de l’environnement. Cela demandait un travail au niveau du choix de la pellicule, de l’exposition et ensuite de la postproduction, puisqu’on ne pouvait pas éclairer le stade différemment.

Le montage a duré neuf mois. Quand vous avez commencé le film, aviez-vous à l’esprit des impératifs de montage ?
Nous n’avions pas d’impératifs, c’est pourquoi cela a duré si longtemps. Nous n’avions pas de scénario ou de plan donné, si ce n’est de faire avec la matière qu’on avait et surtout de se coller à son attitude à lui. Notre partition, c’était son visage, d’une certaine manière. L’événement ayant été joué, notre travail pendant neuf mois a été de le réinventer de son point de vue. Donc d’accélérer le rythme du montage quand lui-même accélérait, ou au contraire de décélérer pour le montrer dans des moments où il est en train de penser à autre chose.

La diffusion du film en salle à grande échelle est-elle une manière d’envisager ou de tester un autre format d’exposition ?
Tout à fait. L’échelle de sortie n’est pas de mon ressort ; en revanche, il s’est agi dès le départ de faire un film qui sortirait en salles. D’autre part, je suis plus intéressé par l’histoire de l’exposition que par celle de l’objet. Le cinéma est une forme d’exposition, et là, littéralement, il s’agissait d’amener un portrait dans une salle de cinéma. C’était donc aussi de jouer avec cette manière entourant une forme publique.

Comment Zidane a-t-il accueilli votre projet ? Vous a-t-il fait des commentaires a posteriori ?
Le projet était tellement inhabituel que cela l’a intrigué. Quand il a vu le film, il l’a trouvé très beau, il a trouvé que c’était lui. Il nous a dit : « Quand je vois mes yeux, je vois à quoi je pense tout le temps ! » Nous n’étions pas dans une relation d’un acteur à une histoire, mais plutôt dans celle d’un modèle à son portrait. Il s’est retrouvé dedans, dur comme il l’est apparemment.

Au final, que tirez-vous et que retenez-vous de cette expérience ?
J’en retire le plaisir d’avoir passé du temps avec Douglas à parler d’art, à essayer de comprendre ce que cela veut dire que d’être un artiste. Ensuite, nous avons envie maintenant de faire d’autres films. Là, c’était un film dur et radical dans son énoncé, mais ce format nous a apporté des choses. Nous avons pu étendre un vocabulaire et une grammaire, c’est-à-dire passer de la compréhension d’une idée à son expérience.

Zidane. Un portrait du XXIe siècle, de Douglas Gordon et Philippe Parreno, 2006, documentaire, 90 min, actuellement en salles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°239 du 9 juin 2006, avec le titre suivant : Philippe Parreno

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