Paroles d'Artiste - Pierre-Laurent Cassière

« Un intermédiaire entre un réel acoustique et des passants »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2010 - 744 mots

À la galerie Frédéric Giroux, à Paris, Pierre-Laurent Cassière (né en 1982) déploie des trésors d’ingéniosité afin d’élaborer des systèmes qui révèlent le son là où on ne l’attend pas, tout en en faisant une matière sculpturale.

FMR (2010) est une platine sur laquelle tourne une galette couverte de poussière. Quelle était votre intention avec cette œuvre ? 
L’idée était de détourner une platine qui ne puisse lire que la poussière déposée sur le disque. J’ai donc fabriqué des disques de Plexiglas noirs totalement muets. Il s’agit simplement d’une surface qui va recueillir la poussière. 

Qu’est-ce qui vous attire dans l’idée de la retranscription sonore de la poussière ?
C’est tout d’abord la notion de bruit, ou plus exactement d’écoute du bruit. On se place alors dans un mode d’écoute assez spécifique, puisque l’attention se porte sur quelque chose qui, a priori, n’a pas de sens. On n’écoute pas du langage, de la musique ou des signaux sonores. On écoute une espèce de masse informelle, et c’est finalement l’écoute elle-même qui va produire des formes ou du sens à l’intérieur de cette perception. Et là-dedans chacun va trouver quelque chose. Il s’agit d’une forme d’abstraction. 

Une abstraction qui a des répercussions concrètes chez l’auditeur…
Ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est de proposer des dispositifs d’attention, et donc d’amener les gens à être attentifs à quelque chose de très très fin. J’aime conduire la perception vers la précision, un infime. La question de l’inframince de Duchamp est quelque chose que j’essaye d’interroger de différentes manières. Duchamp en avait une approche très conceptuelle, je tente de l’aborder d’une manière physique et sensorielle. 

Dans votre installation Pulse (2010), qui produit des vibrations sur les murs à l’aide d’un dispositif apparemment très simple, la question de la plasticité du son vous intéresse-t-elle ? Réfléchissez-vous aussi en termes plastiques ou uniquement en termes sonores ? 
Je dirais que je réfléchis en termes plastiques et conceptuels, beaucoup plus qu’en termes sonores. La naissance d’une idée ou d’une envie de nouvelles réalisations vient souvent de questions conceptuelles, puis la réalisation doit ensuite prendre une forme très plastique, très physique, plus que visuelle. Ici, par le fait d’avoir des murs qui vibrent, je considère que l’espace est plein, même si l’installation est minime. Mais ce qui se passe entre les deux, c’est que nous sommes à l’intérieur d’un champ de basses fréquences, et que l’on entretient donc un rapport physique avec ces vibrations. Il s’agit là aussi de montrer la physicalité des ondes acoustiques, leur rapport au corps et au sens du toucher. Le son a toujours un rapport au toucher. Finalement, je crois que le toucher et l’écoute sont le même sens, mais avec des organes différents. 

Quand vous êtes dans la rue avec un microparabolique dans une main, un haut-parleur dans l’autre, et que vous retransmettez en temps réel à droite ce que vous enregistrez à gauche, ou inversement, il y a une perturbation qui se produit (Transphere, 2010). Ce déplacement participe-t-il lui aussi de quelque chose de physique, de volumétrique et de sculptural ? Je crois que ce n’est que cela. Je ne compose pas, je travaille avec des sons déjà existants. Il s’agit juste d’un principe de médiation. Je deviens moi-même, avec mon corps et les outils que j’ai fabriqués, un intermédiaire entre un réel acoustique et des passants. Le fait que je devienne intermédiaire entre cette réalité du son au quotidien dans l’espace urbain et des gens qui circulent dans cet espace, le fait que je leur projette au visage un son provenant de leur environnement direct, fait qu’ils deviennent auditeurs de leur environnement sonore. Je ne suis donc qu’un médiateur. Et, pour devenir ce médiateur, je place mon corps dans l’espace, dans certaines postures, avec deux outils qui sont des outils sculpturaux. C’est-à-dire qu’au lieu d’avoir deux ciseaux à bois pour tailler dans la masse, j’ai deux paraboles pour attaquer les champs acoustiques. C’est donc de la sculpture. Je redéfinis, en outre, de nouvelles directions dans les champs acoustiques, d’où le titre de l’œuvre, Transphere, où il y a l’idée de déplacer des éléments mobiles, puisqu’un son est toujours en mouvement et que c’est de l’énergie. En manipulant cette énergie pour la rediriger, c’est comme si je posais des petits barrages dans un cours d’eau afin de le dévier. 

PIERRE-LAURENT CASSIÈRE. CORPUSCULI APPARATUS,

Jusqu’au 15 janvier 2011, galerie Frédéric Giroux, 8, rue Charlot, 75003 Paris, tél. 01 42 71 01 02, www.fredericgiroux.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : Paroles d'Artiste - Pierre-Laurent Cassière

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