Architecture - Les serres

Palais des mystères

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2010 - 720 mots

Cinq ans ! Cinq années d’attente, de nostalgie et de souvenirs mêlés se sont écoulées entre la fermeture, en 2005, des serres du Jardin des plantes et leur réouverture le 2 juin prochain.

Palais des mystères que ces serres où bien des premiers rendez-vous furent donnés tant leur romantisme fulgurant, exacerbé par le poids des ans, était propice à l’aventure, aux aventures… C’est en 1714 que Sébastien Vaillant édifie là les premières serres en bois et en verre. En 1788, à l’initiative de Buffon et sous la conduite de Verniquet, d’autres serres font leur apparition, mais sont considérées avant tout comme de simples outils agricoles.

En 1833, Charles Rohault de Fleury, alors architecte du Muséum national d’histoire naturelle, entame, s’inspirant des grandes serres de Kew Gardens à Londres, la construction des premières serres de métal et de verre : deux serres carrées, hautes, vitrées et chauffées à la vapeur. Un siècle plus tard, en 1935, René Berger, architecte en chef du Muséum, édifie la grande serre sur les fondations du premier jardin d’hiver, dans une esthétique Art déco, avec une entrée monumentale ponctuée d’élégantes ferronneries signées Raymond Subes.

Intervention discrète
Bombardements de la guerre de 1870, outrages naturels du temps qui passe, pauvreté des crédits, les serres avaient, malgré plusieurs campagnes de reconstruction et de restauration, perdu de leur superbe, mais pas de leur mystère ni de leur séduction. Néanmoins, l’urgence était là, tout autant scientifique que pédagogique ou sécuritaire. Soit la nécessité de mettre à jour les connaissances, d’organiser, de classer, préserver, décrypter, transmettre l’essentiel de la biodiversité, tout en jugulant l’accueil du public et le flux des visiteurs. L’œuvre des scientifiques du Muséum a, bien sûr, été considérable.

Et pour mieux l’accueillir, les trois serres ont été entièrement réhabilitées, mises aux normes et réorganisées sous la direction de Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques. Puis, une équipe constituée de Nathalie Crinière pour la scénographie, de One Two pour la scénarisation et de c-album pour le graphisme a été mise en place. « L’angoisse d’en faire trop nous a fait nous effacer devant le discours des scientifiques. Il était essentiel que notre intervention soit la plus discrète et la plus efficace possible », confie Nathalie Crinière. Qui ajoute : « D’autant que le lieu en lui-même et ce qu’y ont assemblé les scientifiques est, en soi, déjà d’une présence magnifique. »

Les trois serres s’enchaînent donc dorénavant dans un parcours à la fois logique et plein de surprises. Passé l’entrée de la grande serre, où Patrick Blanc a conçu une végétalisation très ondulante, on débouche dans un double espace : celui consacré aux forêts tropicales humides, et, le flanquant, celui des déserts et des milieux arides ; confrontation saisissante. Puis, en passant par le grand rocher de béton creux aux formes cubistes, on découvre la deuxième serre, celle de la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, en empruntant le passage extérieur, s’offre la troisième, la serre de l’histoire des plantes. Tout au long du parcours, se déploie une « liane intelligente » en métal, support d’information et de contenu, qui agit à la manière d’un fil rouge et court, par intermittence, sur plus de 250 mètres et à un mètre du sol. Une forme et une sinuosité qui évoquent tout à la fois l’univers floral d’un Guimard ou la ligne « coup de fouet » d’un Horta. Laquelle liane est ponctuée de « mandalas », supports de contenus visuels et textuels conjugués, et de « satellites », porteurs d’images et de manipulations, de boîtes à sons, à odeurs, à échantillons, à microscopes…

Au fil des trois serres palpite une nature imaginaire où cohabitent des plantes venues de tous les horizons, mais nature bien réelle en ce qu’elle pousse en pleine terre et se laisse approcher de très près. Un univers scientifique et poétique à la fois où formes, couleurs, senteurs et prolifération permettent de découvrir la biodiversité végétale dans son abondance et sa rareté. Plus encore que de culture, d’architecture et de scénographie, c’est de matière et de forme, d’échelle et de poésie, de lyrisme et de rigueur qu’il convient de parler ici. De sensations, de vibrations et d’émotions. À l’immensité et à la beauté du lieu, à l’universalité des connaissances et des hypothèses exposées, se superposent l’intuitif et le fugace, le singulier et le réactif et, à chaque instant, le mystère.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Palais des mystères

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