De profundis

Mike Kelley, éternel rebelle

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2013 - 708 mots

Le Centre Pompidou met en scène l’esprit non conventionnel de Mike Kelley, disparu récemment, dans une exposition trop modeste.

PARIS - La critique est récurrente : celle d’un Centre Pompidou consacrant à des artistes importants, voire essentiels, des accrochages voulus rétrospectifs dans des espaces trop étriqués. Elle est une fois encore justifiée par celui dévolu à Mike Kelley, à peine plus d’un an après sa disparition survenue le 31 janvier 2012. La Galerie sud est manifestement bien trop étroite pour accueillir dignement un artiste non conventionnel de cette trempe – qui plus est prolifique et coutumier des installations déployées à grande échelle – dont l’importance et l’influence ne sont sans doute pas près de se tarir. On y retrouve une centaine d’œuvres lorsque le Stedelijk Museum d’Amsterdam en exposait le double il y a peu, en ouverture d’un circuit où chaque institution compose sa propre proposition et qui passera ensuite par PS1 à New York et le MoCA de Los Angeles.

Quoique frustrante, cette exposition n’en demeure pas moins de qualité, grâce à un accrochage rigoureux centré autour de trois idées phares : la performance et la création comme occasions de mettre en exergue des pratiques populaires, la tyrannie du quotidien et les contraintes liées à l’éducation, l’entretien de formes régressives comme marqueurs d’un renversement de la morale et des dogmes. Le tout en ne craignant pas d’insister sur le son et la musique, composantes essentielles qui dynamisent le parcours.

Étudiant en art à l’université du Michigan, le natif de Detroit fonde en 1973 le groupe Destroy All Monsters , en compagnie notamment de Jim Sha. Il développe un goût affirmé pour la performance, caractérisée par l’usage d’objets banals et quotidiens servant de socle à un discours souvent empreint à la fois de poétique et de politique, comme le donne à voir une installation intitulée Performance Related Objects (1977-1979) parfaitement placée en ouverture. Dès le début de sa carrière, Kelley fait montre d’un caractère frondeur et contestataire qui lui fait notamment construire une ironique et décalée « Maison d’oiseaux catholique » offrant deux accès, l’un facile l’autre contraignant (Catholic Bird House, 1978) !

L’irrévérence contre les conservatismes
Cette problématique de la morale ne quittera jamais une œuvre marquée par une haine farouche des conservatismes. Remarquable est une grande salle où se confrontent éducation et traditions, comme autant de champs à subvertir, porteurs d’un lourd refoulé. D’un côté des films, photos et installations de la série Extracurricular Activity Projective Reconstruction (2004-2005) rejouent avec un sublime décalage croyances, pratiques religieuses et glissements du quotidien, dont sont pointés mise en scène et force théâtralité à travers des aspects un rien sordides. De l’autre sont abordés de front l’autoritarisme éducatif et la violence psychique qui en découlent, à travers notamment la vidéo Heidi (1992), réalisée avec Paul McCarthy, où la petite fille est soumise par son grand-père à toutes sortes d’humiliations, mais aussi l’installation Educational Complex (1995), regroupant sous vitrine des maquettes de l’ensemble des écoles où est passé l’artiste, toutes blanches, neutres, donnant au tout un arrière-goût carcéral. De par ces traumas et la mémoire refoulée qui en est consécutive s’entendent logiquement tous les travaux à l’accent régressif ; à commencer par ces célèbres peluches récupérées ou bricolées, qui souvent n’hésitent pas à suggérer des accouplements, comme autant de témoignages d’une sexualité incorrecte.

Il y a de formidable ici que la rébellion ne se traduit pas seulement par la dénonciation, mais passe aussi – et surtout – par la fiction créative, comme dans l’invention d’un cadre pour Kandor, ville native de Superman pourtant jamais décrite avec précision. Parfois elle se matérialise dans l’informe, telle cette sculpture sur tréteaux, agrégée de breloques et objets divers, qui pourrait vaguement évoquer un sous-marin (SS Cuttlebone, 2000) et en tout état de cause un territoire inconnu. Quoique d’une formidable diversité, de médiums autant que de forme, l’œuvre énergique de Mike Kelley apparaît de bout en bout d’une redoutable cohérence. Elle n’a certainement pas fini d’inspirer.

MIKE KELLEY

Commissaire : Sophie Duplaix
Nombre d’œuvres : environ 100

MIKE KELLEY

Jusqu’au 5 août, Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Cat. co-éd. Somogy/Centre Pompidou, 144 p., 29,90 €. La Fondation HangarBiccoca, à Milan, consacre une vaste exposition à Mike Kelley, jusqu’au 8 août.

Légende photo

Vues de l'exposition Mike Kelley au Centre Pompidou - Mai 2013 - © photos Ludosane

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : Mike Kelley, éternel rebelle

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