Art contemporain

PAROLES D’ARTISTE

Mark Wallinger : « Rendre visible ce que la police avait rendu invisible »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2008 - 776 mots

Le MAC/VAL, à Vitry-sur-Seine, accueille l’installation State Britain (2007) de Mark Wallinger (né en 1959), lauréat du Turner Prize 2007 : une reconstitution du campement installé par le militant pacifiste Brian Haw, en protestation à la guerre en Irak, sur la place du parlement, à Londres, de 2001 à 2006.

Comment vous est venue l’idée de reproduire le campement de Brian Haw ?
J’ai suivi pendant plusieurs années sa manifestation, prenant des centaines de photos, regardant son comportement et son organisation. En 2006, j’ai été approché par la Tate Britain, à Londres, pour une exposition avec un projet commissionné qui s’inaugurerait en janvier 2007, ce qui me laissait un temps de réaction assez bref pour y répondre. Peu de temps auparavant, le gouvernement britannique a fait voter une loi restreignant le droit de manifester à proximité de la place du parlement. Puis en mai 2006, la police a démantelé le campement au cours d’une nuit. La Tate Gallery m’a laissé libre d’intervenir et j’ai pensé qu’il serait intéressant de rendre visible, pour un service public, ce que la police avait rendu invisible. Au même moment, j’ai réalisé que la zone d’exclusion interdisant ces manifestations autour du parlement dessine une ligne traversant la Tate, puisque le musée est voisin. Cela donne encore un autre intérêt au projet.

Entreteniez-vous des relations avec Haw ?
Je l’ai approché au moment où la Tate Gallery m’a contacté, afin d’avoir son sentiment. Il a été très enthousiaste et a soutenu le projet dès le début. De plus, au fur et à mesure de l’avancement de l’idée, il était important pour moi d’avoir son assentiment sur la reproduction des choses et d’écouter ses propres idées.

Pourquoi avez-vous décidé de faire une fidèle reproduction de cette installation et non pas d’en donner une interprétation ?
De plusieurs manières, il était possible de considérer cela comme un monument. Par son ampleur en premier lieu. C’était aussi une façon de conserver intacte sa propre liberté, ses idéaux et son pouvoir d’attraction. Car ce que Brian Haw avait à dire, et la manière dont il l’a dit, étaient pour une énorme part de l’ordre de l’affectif. Puis beaucoup de gens traversaient la rue pour aller voir cela de près et se frotter à son discours. C’est comme un étalage marginal et individuel qu’il convenait de conserver. J’ai donc tout fait reproduire car, entre l’intervention policière et l’usure par le temps et la pollution, il n’y avait pas grand-chose d’utilisable.

Cela pose la question d’un mouvement depuis le politique vers l’artistique.
J’étais un témoin regardant une action. Après le vote de cette loi, l’action de Brian est devenue illégale, alors qu’elle ne l’était pas au début. Cette translation est intéressante, en effet, car elle apporte un autre regard sur la manifestation. Il était important de considérer depuis le champ de l’art ce phénomène et les contradictions qui ont été induites par l’attitude des pouvoirs publics.

Pensez-vous que votre intervention artistique a changé quelque chose au combat de Brian Haw ?
Je l’espère ! On a beaucoup parlé de tout cela. Son action était très connue mais mon intervention lui a donné un autre éclairage. Je crois que cela a certainement amené d’autres publics à y penser et à s’engager d’une certaine manière. En outre, le focus apporté à certains publics sur les libertés civiles n’est pas inutile je crois.

Pensez-vous que d’une manière générale l’artiste ait un rôle politique à jouer ?
Je ne peux parler que pour moi, mais je pense que nous avons cette chance d’avoir une vue rare et ample sur le monde. Nous devons en faire quelque chose.

La France offre un autre contexte de présentation de ce travail…
J’étais très excité à l’idée de montrer cela ailleurs et j’ai répondu immédiatement à l’invitation de Franck Lamy, le responsable des expositions du MAC/VAL. Même s’il s’agit d’une « histoire britannique », il y a beaucoup de points d’intérêts similaires. Nous faisons partie de pays occidentaux très développés, qui « se débattent » dans un nouveau monde post-colonial, et qui cherchent un équilibre entre les droits individuels et la sécurité nationale. Tout est aussi question d’identités nationales. Ce sont des débats importants qui nous touchent tous.

Pensez-vous que cette installation puisse être perçue différemment ici en France qu’au Royaume-Uni ?
Oui, mais je pense que l’idée de cet homme seul est compréhensible partout. Et c’est aussi très éducatif pour tout le monde. Nous ne croyons pas qu’envahir un pays étranger pour le libérer soit une bonne idée.

MARK WALLINGER STATE BRITAIN, jusqu’au 22 juin, MAC/VAL, Place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine, tél. 01 43 91 64 20, www.macval.fr, tlj sauf lundi 12h-19h, jeudi 12h-21h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Mark Wallinger

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