Art contemporain

New York

L’operating system de Wade Guyton

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2012 - 831 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Au Whitney Museum, Wade Guyton déploie son œuvre née des technologies informatiques intégrant hasard et accident.

NEW YORK - La chose semble entendue avant même de pénétrer dans les salles d’exposition : l’œuvre de Wade Guyton, et en particulier la proposition faite pour cette rétrospective de milieu de carrière que lui consacre le Whitney Museum, à New York, s’insère dans la réalité la plus commune ; celle des systèmes régissant le quotidien sans parfois même qu’on n’y prenne plus garde.

« OS », le titre de la manifestation, ne laisse à cet égard aucune place au doute. Qui ne vit pas aujourd’hui plus ou moins dirigé par un « Operating System » gouvernant l’informatique des ordinateurs, smartphones et autres tablettes numériques ? Un OS qui, tout en ayant des facultés et potentialités particulièrement concrètes, n’en est pas moins, pour le commun des mortels, un outil des plus abstraits tant dans sa conception que dans la spécificité de son mode de fonctionnement. En choisissant ce titre, l’artiste a fait simple et juste, car ce qu’il y a d’excitant dans son travail tient justement à un mode de conception reposant sur l’outil informatique et les technologies communes qui imposent une forme de dépendance à laquelle il est de plus en plus malaisé – impossible ? – de se soustraire, même lorsqu’on est artiste. Néanmoins, ce dernier ne s’en montre pas prisonnier, et fait de l’OS et de ses dérivés un « open system », un système ouvert où les développements multiples intègrent l’accident et le hasard à l’exécution de l’œuvre d’art. Car il n’y aurait a priori rien d’original dans l’exercice de la sérialité auquel se livre Guyton, si ce dernier ne se comportait tel un équilibriste qui, au lieu d’avancer en permanence sur le fil du danger, intègre avec un plaisir manifeste l’imprévu à sa pratique. En témoignent de nombreuses suites de tableaux, où la répétition d’un même motif n’est jamais exacte, à l’instar de ces X tout droits sortis du logiciel de traitement de texte Word, ou de ces bandes de gris ou de noir (dont une série visait à recouvrir des X à l’aspect insatisfaisant !) dont la répétition présente toujours des décalages ou des manques. C’est que l’artiste travaille avec une imprimante jet d’encre de grand format certes, mais destinée à recevoir du papier et non de la toile. Une toile, en outre, pliée dans le sens de la hauteur afin de pouvoir y pénétrer, imposant donc une réalisation du tableau en deux temps.

La démonstration est servie par une scénographie à la fois simple et dynamique, où les emplacements de quelques parois disposées ci et là de manière parallèle sur le plateau accueillant l’exposition permettent de multiplier les points de vue et de comparaison tout en laissant la lecture très ouverte ; ce non sans rappeler, vu de loin dès la sortie de l’ascenseur, la multiplication de fenêtres sur un écran d’ordinateur et donc des couches d’information.

Un motif tout trouvé
La frontière devient poreuse et floue entre ce qui est inventé et trouvé, à l’image de ce motif récurrent dans son œuvre de rayures rouges et vertes, que l’on retrouve combiné à des cercles sur des tableaux de 2005 et 2006, ou encore en 2009 recouvrant partiellement un morceau de bois et qui, à l’occasion de cette exposition, a donné naissance à deux gigantesques toiles de 15 et 9 mètres de long encadrant remarquablement l’une des mythiques fenêtres de Marcel Breuer, l’architecte du bâtiment. Or ce motif n’est pas une invention picturale de Guyton, mais un simple scan du revers du papier d’une couverture de livre. Ou comment s’inscrire dans la continuité d’une réflexion sur l’abstraction picturale américaine tout en en repensant invention et exécution.

L’artiste pose sans ambages et avec inventivité la question, certes pas nouvelle, de ce qu’est une image aujourd’hui : sa nature, ses modes de production, d’exécution, de diffusion et de lecture, tout en n’omettant pas d’aborder le problème de leur inscription dans l’espace physique du livre ou du magazine à l’aide de dispositifs dans des vitrines notamment. Une série de travaux datant d’une dizaine d’années avait d’ailleurs pris des images de magazines comme sources sur lesquelles étaient dessinées des formes abstraites, à la main au feutre ou déjà  grâce à l’imprimante, afin d’intégrer directement à son travail des sources d’inspiration au lieu de simplement y faire référence.
À travers le jeu constant de variations imposées au motif, Wade Guyton se pose finalement en contre de la standardisation alors même qu’il utilise les outils censés garantir une forme d’optimisation, pointant par là le fait que la technologie est faillible. C’est salutaire.

WADE GUYTON. OS

Jusqu’au 13 janvier, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3600, www.whitney.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-18h, vendredi 11h-21h. Catalogie coéd. Whitney Museum/Yale University Prés, 228 p., 55 $ (42 €)

Voir la fiche de l'exposition : Wade Guyton

- Commissaire : Scott Rothkopf, curateur au Whitney Museum

- Nombre d’œuvres : 80

Légende photo

Wade Guyton, Untitled, 2010, impression jet d'encre Epson UltraChrome sur toile, 774.7 x 1488.4 cm, collection de l'artiste © Photo : Lothar Schnepf.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : L’operating system de Wade Guyton

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