Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...

Les rubans d’Élisabeth Ballet

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 23 juin 2014 - 713 mots

« Je collectionne des rubans depuis dix ans. On n’imagine pas la variété qui peut exister dans ce domaine. Ni combien ce petit morceau de tissu influence mon travail », explique la sculptrice Élisabeth Ballet.

Un engouement bien visible : dans son atelier, il y a en a partout. Ils sont suspendus aux poignées de ses placards, aux bras articulés de ses luminaires, à ses radiateurs, sur tous les supports possibles. Ils volent au vent, se mélangent, elle les agrippe pour ouvrir un tiroir ou une porte. Un choix a priori inattendu de la part d’une artiste qui manie plutôt le fer, le bois et l’acier. D’où vient cette passion soudaine pour un colifichet associé, généralement, aux travaux d’aiguille plutôt qu’à la scie ou au marteau ? « D’un pur hasard », explique l’artiste. À l’écouter, le ruban aurait attiré son attention au moment opportun : « Un jour, quelqu’un m’a offert un cadeau dans un paquet fermé par un magnifique ruban et je l’ai immédiatement accroché bien en vue. À cette époque, j’étais en train de réaliser une sculpture au sol en caoutchouc, Eyeliner (2007), soit cinq portions de routes souples superposées avec une ligne blanche. Je commençais à ressentir le besoin de travailler plus à fond la ligne courbe. Or le ruban possède une extraordinaire souplesse. Si on le laisse tomber, il dessine des figures aléatoires. » Et le ruban de faire son chemin dans la tête de la plasticienne : « Inconsciemment, ça m’a travaillé, j’ai repensé à ma sculpture Deux bords, réalisée en 1993, et qui se présentait comme un ensemble de neuf anneaux de différents diamètres, suspendus dans le vide et retenus par des sangles tendues aux murs. » Elle ajoute, comme pour mieux nous convaincre, que : « Le ruban polyester que l’on peut étirer au maximum est la matière principale associée à égalité à l’acier des pièces Corridor noir, 1994, et Corridor vert, 1997. Et d’énoncer comme un long poème : « Ruban adhésif, ruban d’asphalte, ruban bleu, ruban magnétique, ruban métrique, ruban de gymnastique rythmique, ruban bicolore de signalisation, ruban tricolore, ruban de Möbius, ruban d’emballage, le ruban perforé en informatique, le ruban magnétique, le ruban métallique, textile ou plastique que l’on emploie pour cercler, consolider ou fermer un emballage, rivière Ruban coulant
en Mauricie au Québec… » Elle évoque l’œuvre One Mile Long Drawing (1968), la fameuse route de Walter de Maria, ou encore un dessin de Roni Horn fait de petits segments ondoyants. Le ruban est désormais un élément récurrent de sa grammaire plastique en perpétuelle réinvention.

Parmi les pièces récentes, citons Smoking et Brillantine (2011), chorégraphie de lignes serpentines colorées, et Flying Colors (2010), une installation composée de lignes courbes, rouges
et jaunes, renvoyant aux traces de lumière laissées par les feux arrière des voitures circulant dans la nuit. Justement, Sur la Route de Jack Kerouac fait partie de ses livres favoris. Un texte écrit sur un long rouleau de papier : « Le ruban, c’est magnifique ! », lance l’artiste devenue incollable sur son histoire et les secrets de sa fabrication depuis qu’elle a visité la Maison des tresses et lacets à la Terrasse-sur-Dorlay, dans le parc du Pilat en Rhône-Alpes, et qu’elle s’est rendue au Musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne qui possède la plus importante collection de rubans au monde. Un souvenir encore intact : « La beauté fantastique des productions en tous genres de fils spéciaux de toutes formes, matières et couleurs, pour fabriquer des tresses, des lacets, des franges, guirlandes et autres textiles étroits m’a littéralement éblouie… Ouvrir un album d’échantillons est une expérience proche de l’émerveillement. »

Par chance, la Fondation de France, à travers l’action des « Nouveaux Commanditaires », lui a offert l’occasion de travailler dans les régions de sa production. À Saint-Sauveur-de-Montagut, au bord de l’Eyrieux, elle a créé une chambre d’écoute dans l’ancienne gare située de l’autre côté de la rivière face à une usine de moulinage fermée. Et y a recueilli les paroles d’anciennes ouvrières : « Ce travail a bouleversé mes habitudes, et il correspond à un désir, devenu fondamental,
de rencontres, d’entretiens et de recherches visuelles et littéraires qui seront, j’espère, présentes dans de nouvelles pièces à venir. » Le ruban, un lien entre soi et les autres ? 

Vous me direz, une installation permanente à Saint-Sauveur-de-Montagut (07). Élisabeth Ballet travaille également à une autre installation à Bourg-Argental (42)

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Les rubans d’Élisabeth Ballet

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque