Art contemporain

Les cartes postales de Valérie Mréjen

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 23 mai 2017 - 598 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...

Fétiche -  « J’aime les brocantes. Plutôt que de rapporter un moulin à café ou une lampe, j’achète des cartes postales. Ça prend moins de place. Mon choix se porte souvent sur celles des années 1960-1970, en couleur. J’ai une prédilection pour les réceptions d’hôtel ou les salles de restaurant vides, les ensembles architecturaux, les paysages mis en valeur par une branche de mimosa ou un personnage qui les contemple, vu de dos. » Un cadre fixe, un décor au cordeau et une mise à distance du réel. Une position qu’adopte volontiers Valérie Mréjen dans ses films et dans ses livres : « Les cartes postales conjuguent dimension publique et privée : de face, elles montrent des endroits accessibles à tous et, au dos, elles présentent des textes destinés aux proches. Souvent des formules consacrées. » Partant de ce constat, l’artiste signe, en 1997, une série intitulée Meilleur Souvenir avec des cartes postales dont les textes, au verso, sont écrits avec des noms découpés dans l’annuaire téléphonique. Exemple : une carte postale montrant la dune du Pilat avec pour seul énoncé : « SILENCE Fernande, DÉSERT Philippe, SOLITUDE Marceline ». Dans Leur histoire, une vidéo de 3 minutes 30, réalisée en 2014, l’artiste met en scène l’étrange dialogue entre un homme et une femme joués par les comédiens Irène Jacob et Antoine Chappey, ou l’histoire en accéléré de leur attraction, liaison et séparation, le tout entrecoupé d’images de paysages, de routes de montagne, de places désertes. Des répliques qui ont un air de « déjà entendu ». Une manière de souligner à quel point nos échanges restent soumis à des stéréotypes, à des conventions qui nous échappent, alors même que nous nous sentons uniques et irremplaçables. Le tout filmé frontalement, en plan fixe : « Les cartes postales montrent ce qu’il y a à voir. Elles posent la question du point de vue : où placer l’appareil, la caméra ? », précise Valérie Mréjen, qui ajoute : « Je peux partir des images pour écrire le texte ou, au contraire, démarrer par un texte et chercher ensuite des images. Mais, de toute façon, ma recherche de cartes postales prend vite une tournure frénétique, c’est souvent laborieux, puis survient une perle, une trouvaille. Les marchands me demandent : “Vous cherchez quoi ?” Je leur réponds : “Je n’en sais rien. Je pars en quête de quelque chose sans savoir quoi”. » Est-ce un hasard si elle choisit des cartes postales qui correspondent aux années de son enfance, elle qui est née en 1969 ? « J’ai fréquenté les centres de vacances aux architectures modernistes. Les cartes postales des années 1960-1970 magnifiaient de nouvelles constructions et infrastructures. C’était un objet de promotion. » Dans Sacré Cœur, autre vidéo réalisée en 2015, l’artiste fait défiler une succession de vues urbaines prises durant les Trente Glorieuses, avec, pour commentaire off, une sorte de litanie : le nom et l’origine sociale de différentes jeunes filles. S’agit-il de camarades d’école que le hasard de la naissance n’aurait pas mis sur un pied d’égalité ? Et alors, que sont-elles devenues ? Mystère ! Valérie Mréjen dit encore : « Les cartes postales qui ont été produites en série montrent un monde neuf qui a disparu. » Est-ce la raison pour laquelle, en regardant ses films et vidéos, en lisant ses livres, notamment son tout dernier, Troisième personne, qui raconte avec une distance quasi entomologique, l’arrivée d’un enfant dans un couple, nous sentons comme un léger malaise. Probablement parce que son œuvre nous rappelle qu’il existe un abîme entre la conscience de soi et l’inexorable fatalité du temps qui passe.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : Les cartes postales de Valérie Mréjen

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque