Nouvelles technologies

L’enfance des robots

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 21 mai 2019 - 472 mots

Dystopie  - Jusqu’au 1er juin, à Issy-les-Moulineaux, le Cube offre à ses visiteurs un spectacle insolite : celui d’un robot recopiant une punition sur une petite table d’écolier.

« I must not hurt humans », « je ne dois pas faire de mal aux êtres humains », écrit-il ad nauseam d’une écriture soignée et enfantine. La première raison d’être de la machine – libérer l’être humain des tâches les plus répétitives – se retourne ici en apprentissage ressassé de règles de bonne conduite. Intitulée The Punishment (La Punition), cette œuvre de Filipe Vilas-Boas joue de tous les contrastes. L’évocation du contexte scolaire, et avec lui de l’enfance, y dissone avec la rigidité mécanique du robot – un bras articulé qui renvoie bien davantage à l’univers professionnel de l’usine qu’aux humanoïdes de la science-fiction. On en déduit que la machine appliquée à recopier ses lignes est un être en devenir, une « machine apprenante » dont l’éclosion nous menace d’une manière ou d’une autre, puisqu’on croit nécessaire de la châtier à titre préventif, pour ses crimes à venir. The Punishment réaffirme sur un mode ironique la première des lois de la robotique énoncées par Isaac Asimov. Mais entre l’écrivain de science-fiction et l’artiste franco-portugais, le robot présenté au Cube suggère une certaine distance. Chez le premier en effet, les lois renvoient à un régime de relations étroitement hiérarchisées entre humains et robots, où les seconds servent les premiers et leur vouent entière obéissance – en théorie du moins, puisqu’en matière de narration, les interdits sont spécialement faits pour être transgressés. Or l’image médiatique contemporaine du robot bouscule et renverse cette domination : la convergence de la robotique et de l’intelligence artificielle marque l’éclosion de machines apprenantes, potentiellement autonomes, dont les impacts économiques, sociaux et anthropologiques sont très incertains. En cela, l’œuvre de Filipe Vilas-Boas renvoie le public à un imaginaire teinté de dystopie : celui d’une armée de robots prenant le pouvoir et d’une société entièrement automatisée, fonctionnant sui generis, sans supervision humaine. Le monde de Terminator en quelque sorte. On songe alors à une autre œuvre très proche formellement de The Punishment, et exposée jusqu’au 2 juin au ZKM, à Karlsruhe, dans l’exposition « Open Codes ». Imaginée par le collectif Robotlab et intitulée Manifest, elle présente elle aussi un bras articulé en situation d’écriture. Mais contrairement à la « créature » de Filipe Vilas-Boas, celle-ci s’est émancipée des répétitions machiniques, elle est « créative », déjà autonome. En l’occurrence, elle génère des manifestes à la chaîne. Chez elle, la loi commune (ne pas faire de mal aux humains) n’a plus cours, et cède devant une inflation de déclarations individualisées, où le sens est opaque, sinon absent. La robotisation revêt alors un autre visage, tout aussi menaçant, que chez Vilas-Boas : elle inaugure le règne de l’anomie et du non-sens. Comme si le robot, une fois adulte et autonome, n’en était pas devenu plus sage…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°724 du 1 juin 2019, avec le titre suivant : L’enfance des robots

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