Politique - Société

Le vrai est un moment du faux

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 22 septembre 2021 - 595 mots

Fake News -  Le terme « fake news » (« fausse nouvelle », en français) a surgi quelque part pendant la campagne présidentielle de Donald Trump, en 2016.

Un an plus tard, il était élu « mot de l’année » par le Collins Dictionary, tant son usage était fréquent. Dans le même temps, près de 1200 milliards de photos étaient prises dans le monde, venant grossir pour la plupart le flux des réseaux sociaux. Entre ces deux événements, il faut sans doute voir plus qu’une coïncidence. L’impressionnant stock de données facilite la falsification des images et leur circulation, voire leur viralité : départir le vrai du faux devient un exercice d’autant plus délicat que photos et vidéos inondent le web dans des proportions inédites. Offrir au grand public les moyens de discerner ce qui relève du fait de la manipulation devient alors un enjeu politique majeur. Les « infox », qui pour moitié d’entre elles s’appuient sur des images truquées et/ou décontextualisées, ont un effet bien concret, et l’actualité pointe à foison leur influence sur les choix électoraux ou sanitaires – voir en ce moment les rumeurs entourant les vaccins contre la Covid. À ce titre, l’exposition « Fake news », qui s’est ouverte le 27 mai dernier à la Fondation EDF, à Paris, affiche d’abord une ambition didactique. Conçue avec le journaliste, chercheur et enseignant Laurent Bigot, elle vise à démonter un à un, via une série d’œuvres d’art, les rouages du mensonge. Le moindre de ses paradoxes est qu’elle recourt pour ce faire à la fiction et à l’illusion : les canulars des Yes Men, les deepfakes de Bill Posters et Daniel Howe ou les hacks de Simon Weckert s’avèrent autant de moyens de mettre au jour la mécanique du faux – et révèlent au passage une architecture de l’information fondée sur la collecte des données et leur possible exploitation à des fins politiques et/ou commerciales. Parmi un ensemble d’œuvres inégales de vigueur et de subtilité, une installation se distingue à l’entrée de l’exposition. Créée par le plasticien Alain Josseau, elle s’intitule G255, en référence au vert utilisé pour l’incrustation d’images dans des vidéos. Son élément central est une maquette posée sur un plateau tournant. Y figurent des immeubles béants, à moitié détruits. Une caméra posée sur un pied filme en continu la rotation de ce paysage miniaturisé sur fond vert et l’image saisie est projetée en temps réel sur un écran à proximité. L’œil peut ainsi circuler de l’installation en volume à sa restitution vidéo pour mesurer tout ce qui les sépare. Sur l’écran, en effet, la scène apparaît tout autrement que sur le plateau : la ville s’anime et change d’échelle ; à l’horizon, une épaisse fumée suggère une succession de bombardements. La maquette devient lieu de l’événement, théâtre des opérations. En confrontant deux points de vue sur un même objet, G255 expose une simulation. Le dispositif s’avère d’autant plus ingénieux qu’il se fonde sur un procédé classique de manipulation des images : la décontextualisation. On est dans l’entrée de la Fondation, mais, sur l’écran, on se projette dans un lointain pays en guerre, d’autant mieux d’ailleurs que la scène évoque des images déjà vues – de bombardements américains en Irak, par exemple. On en déduit alors que la fabrique de l’information est affaire de cadrage. En cela, Alain Josseau nuance d’emblée le propos de l’exposition « Fake news », et souligne que tout fait est susceptible d’être manipulé, non seulement pour produire de fausses informations, mais aussi des vraies. Il se pourrait en somme que les fake news prospèrent aussi sur la défiance du public vis-à-vis d’images médiatiques jamais tout à fait neutres…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Le vrai est un moment du faux

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