Bordeaux

Le « vivre ensemble » comme credo

La deuxième édition d’Evento pose l’art comme vecteur de transformation sociale de la ville

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 676 mots

BORDEAUX - Après une première édition confiée en 2009 à Didier Fiuza Faustino, « Evento » reprend ses quartiers bordelais, confirmant son statut et son format singuliers.

Ni biennale ni exposition à grande échelle, le rendez-vous a fait de la ville son terrain de jeu et le fondement de ses interrogations, sur une durée qui ne cesse de surprendre : onze petites journées (du 6 au 16 octobre, même si les expositions dans les musées durent plus longtemps), surtout au vu du budget de 4,2 millions d’euros qui lui est alloué.

Avec pour antienne une « Ré-évolution urbaine » appelée de ses vœux, c’est cette année Michelangelo Pistoletto [lire le JdA no 353 23 septembre 2011] qui a piloté l’aventure, y associant plus d’une vingtaine de sites et quatre-vingts artistes. Persuadé que l’art peut/doit être un vecteur de transformation sociale de la ville, et qu’il incombe donc à l’artiste de s’en faire le responsable, le maître italien a convié de nombreux intervenants, d’une part à réinterpréter et imaginer l’évolution possible des schémas sociaux et urbains, de l’autre à s’ouvrir au plus grand nombre à travers le lien à l’autre. Centré sur la ville elle-même, le centre d’architecture Arc en rêve a invité le collectif Stealh.unlimited à concevoir aux anciens Abattoirs « Il était une fois demain », une utopie urbaine fondée sur un essai du philosophe Bruce Bégout. Alors que Bordeaux devrait compter un million d’habitants en 2030, l’agence a déroulé là, avec la complicité d’artistes, un vaste récit visuel et narratif incluant l’extension du tissu urbain comme l’éclosion de nouvelles formes de solidarité. Ailleurs dans la ville, des chantiers créatifs à ciel ouvert conduits par l’équipe du Castello di Rivoli, près de Turin, ont fait intervenir les habitants dans un programme intitulé « La Ville en commun » à travers des initiations à la pratique de l’art sur des thématiques liées à la construction et l’urbanisme.

Esclavagismes et art
Marqué par une dimension participative, le second axe de réflexion a largement déployé et amplifié ce credo du « vivre ensemble », à travers des manifestations inscrites dans l’espace public. Au marché des Douves par exemple, dans le cadre des « Chantiers des savoirs partagés » essaimés en plusieurs endroits de la cité, l’artiste néerlandaise Jeanne van Heeswijk a organisé un « grand déballage de la vie associative » où se côtoyaient autour d’événements près de soixante associations du quartier, aux objectifs très divers. Parmi les institutions associées à Evento, le Musée d’Aquitaine aborde de front le passé esclavagiste de Bordeaux et les modes d’esclavagisme contemporains engendrés par la marchandisation globalisée. Il propose un dialogue entre ses œuvres et archives et des installations parfois créées pour l’occasion de William Kentridge, Shilpa Gupta ou Michael Blum.

Au CAPC-Musée d’art contemporain, l’exposition « Étrange et proche », conçue par le Van Abbemuseum d’Eindhoven, explore la thématique du voisinage et de la condition humaine dans le lien à l’autre, dans un remarquable accrochage, âpre et sans complaisance. Deux pépites bouleversantes en émergent : les tapisseries très guerrières d’Erzen Shkololli, réalisées dans l’atelier de confection de son père pendant la guerre au Kosovo et mêlées à des dessins du conflit effectués par des enfants au même moment, et le film de Danica Dakic, First Shoot (2007-2008). Retranchés à l’abri de la guerre en ex-Yougoslavie, deux handicapés mentaux qui n’ont rien vu de l’évolution du monde et de la réalité se livrent, masqués, à une sorte de ballet presque animal, entre attraction et répulsion.

Connu pour son sens du pragmatisme, Alain Juppé a fait là montre d’une indéniable ouverture d’esprit. Mais sera-t-il en mesure de poursuivre la réflexion engagée par Pistoletto, de faire siennes certaines de ses idées et de proposer de nouvelles voies à ses administrés ? Autrement dit, est-il prêt à engager sa ville sur le sentier d’une révolution ?…

EVENTO 2011

Directeur artistique : Michelangelo Pistoletto
Directeur artistique délégué : Luigi Coppola

« Racines historiques », jusqu’au 23 janvier 2012, Musée d’Aquitaine, 20, cours Pasteur
« Étrange et proche », jusqu’au 12 février 2012, CAPC, 7, rue Ferrère
« Il était une fois demain », jusqu’au 18 décembre, Abattoirs, quais de Paludate, Bordeaux.

Informations : evento2011.com. Catalogue à paraître.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Le « vivre ensemble » comme credo

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