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Le verre d’eau de Youssef Nabil

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 18 janvier 2016 - 624 mots

Il hésite, il ne sait pas si son choix peut être pris en compte. Mais la première idée qui lui vient à l’esprit, c’est l’eau !

Pas vraiment un objet donc, mais un élément dont il ne  peut pas se passer. À l’entendre, l’eau occupe une grande place dans sa vie et dans son imaginaire. Youssef Nabil, photographe plasticien, né et élevé en Égypte, vit aujourd’hui entre Paris et New York et se rend régulièrement au Caire où réside sa famille. Il explique : « Quand on est égyptien, l’eau est un élément culturel omniprésent. Ne dit-on pas que l’Égypte est un don du Nil ? Ce fleuve irrigue nos terres et nos pensées : il est à l’origine d’une fabuleuse civilisation cinq fois millénaire, porteuse d’une mythologie largement ouverte sur la Méditerranée. » Et d’ajouter  : « Pour tirer mes photos, je dois les baigner dans une cuve d’eau pendant quelques heures. Ensuite, une fois l’opération terminée, je les repeins à la main à l’aquarelle et les nuances colorées sont plus ou moins subtiles selon la quantité d’eau employée. Il faut bien maîtriser cette technique pour obtenir l’effet désiré et attendre que le papier sèche entre deux interventions. » Celui qui fut, un temps, l’assistant de David LaChapelle, photographe américain flamboyant, créateur de compositions aux couleurs acidulées avec des bimbos à la plastique avantageuse et au brushing impeccable, s’exprime, lui, dans un registre situé aux antipodes de ce style débridé. Ses portraits photographiques, tout en retenue et nuances sépia, renvoient à l’esthétique exotique des années 1950, aux cartes postales retouchées évocatrices de rêves d’exotisme, aux productions cinématographiques égyptiennes riches en rebondissements et scènes stéréotypées, aux comédies musicales à l’« eau » de rose tout en sensualité suggérée. Des images teintées d’une certaine nostalgie, nourries d’une culture orientale en voie de disparition, avec, comme toile de fond, Les Contes des mille et une nuits, les danseuses du ventre et le « charme profond, magique, dont nous grise dans le présent le passé restauré ! » (Charles Baudelaire, Le Parfum). Une fascination non exclusive : comme il le montre dans l’exposition qui se tient actuellement à la Galerie Nathalie Obadia, Youssef Nabil pose un même regard complice sur la mythologie hollywoodienne. Sa dernière vidéo de 12 mn, intitulée I Saved My Belly Dancer et mettant en scène Salma Hayek et Tahar Rahim, se passe au bord de la mer : « Sauf, dit-il, qu’aux USA l’eau des océans est froide et les couchers de soleil ne sont pas aussi intenses que ceux de la Méditerranée de mon enfance. » Mais revenons à l’eau. Sur le sujet l’artiste paraît « intarissable » :  « Astrologiquement, je suis scorpion, c’est un signe d’eau ! Et puis le corps n’est-il pas constitué de 65 % d’eau ? Pour me détendre, je prends un bain ou une douche. De même, je bois un verre d’eau avant de dormir car cela agit sur moi comme un élément purificateur. En Égypte, nous connaissons tous le proverbe qui dit : “ Celui qui boit l’eau du Nil est sûr d’y revenir au moins une fois.” Là-bas, voir la pluie tomber est un véritable cadeau du ciel ! » La Méditerranée toujours. C’est un thème récurrent qui traverse sa production. Dans une série séquencée en quatre parties et intitulée I Will Go To Paradise, on voit l’artiste de dos, vêtu d’une djellaba, marcher dans la mer et s’enfoncer petit à petit sous les vagues : « Adolescent, dit-il, je regardais l’horizon avec l’envie de partir au loin. Entre moi et l’Europe, il y avait la Méditerranée. Une étendue d’eau qui me paraissait aussi infranchissable que pleine de promesses. » Un miroir aux multiples reflets, l’écran sur lequel il projetait déjà ces images mémoire. 

« Youssef Nabil, I Saved My Belly Dancer »

Jusqu’au 6 janvier 2016. Galerie Nathalie Obadia, 3, rue du Cloître-Saint-Merri, Paris-4e, www.galerie-obadia.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°687 du 1 février 2016, avec le titre suivant : Le verre d’eau de Youssef Nabil

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