Ce mois-ci :

La veilleuse de Denis Darzacq

Chaque mois, Elisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste

L'ŒIL

Le 12 décembre 2016 - 717 mots

FÉTICHE - Plutôt timide et réservé, Denis Darzacq n’aime pas trop parler de lui. Et, malgré le beau sourire qu’il affiche, il ne se sent pas très à l’aise dans l’exercice d’introspection qu’implique le petit jeu que nous lui proposons.

Finalement, après un temps d’hésitation, il opte pour la veilleuse en céramique en forme de hibou que sa grand-mère allumait lorsque, tout jeune enfant, il dormait chez elle : « J’étais fasciné par cette petite lampe dont les yeux lumineux me regardaient fixement. Je l’ai gardée en souvenir de ma grand-mère et des moments heureux passés avec elle ! » Osons l’hypothèse d’un renversement de situation : hier, le faisceau lumineux qui sortait des orbites de l’animal hypnotisait le futur photographe qu’il ne soupçonnait pas être un jour. Désormais, c’est lui qui regarde les autres à travers « l’œil » de ses objectifs, et qui auréole ses modèles d’une douce lumière. Il ajoute : « Cette lampe me permettait, alors, de m’affranchir de mes peurs. C’est une sensation que j’ai ressentie plusieurs fois dans ma vie, notamment lorsque je suis allé à Bobigny avant les émeutes de 2005. Je voulais rencontrer cette jeunesse que l’on dit incapable de discipline et rétive au travail. Ce n’est certainement pas le cas des danseurs de rue avec lesquels j’ai pu mettre au point plusieurs séries étonnantes. » Une incroyable aventure qui lui offre l’occasion de réinventer le portrait : des garçons et des filles sont montrés en train de planer entre les rayons des supermarchés, entre deux barres de HLM ou au-dessus du macadam : « J’ai commencé le travail dans les hypers en 2007, l’année où le publicitaire Jacques Séguéla déclarait “Si à cinquante ans on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a raté sa vie ! » Phrase ravageuse qui signifie que, dans notre société, l’avoir remplace l’être. » En réponse, des images dans lesquelles cette jeunesse s’élève avec panache et élégance au-dessus des contingences. Et fait un pied de nez à cette société marchande prompte à régir nos corps et nos esprits.

Autant de postures périlleuses défiant les lois de la gravité et réalisées sans trucage. C’est sur cette ligne de crête, dans ce monde flottant, dessinant un hiatus entre corps et décor, que se situe l’œuvre de Denis Darzacq. Face au hibou de son enfance, au moment de sombrer dans le sommeil, ne s’inventait-il pas, déjà, des mondes enchantés, ou, plutôt, selon ses termes, « endansés » ? Il raconte : « Mon mémoire de fin d’études aux Arts déco de Paris, section vidéo, avait pour titre : “Pourquoi je pleure au cinéma”. » Il adore les films de Jacques Demy, en particulier Une chambre en ville, entièrement chanté mais un peu plus sombre que les autres : « C’est une histoire à la fois ancrée dans la réalité mais  formellement détachée de celle-ci. Un univers en suspension qui me renvoie à Proust et à la mélancolie qui traverse À la recherche du temps perdu. » Traiter le destin avec une gravité légère ? Plonger les êtres dans une apesanteur poétique ? C’est ce que l’on ressent face à son avant-dernière série, réalisée avec la complicité de jeunes en situation de handicap physique ou mental. Après avoir saisi ces corps empêchés, Darzacq a demandé à des danseurs de l’Opéra d’improviser, à partir de ses photographies, des figures au coin d’une rue, sur une place, aux yeux de tous. Une façon de s’interroger, avec grâce, sur la norme et la transgression. Même surprise en ce qui concerne Doublemix, la série qu’il vient de terminer avec Anna Lüneman et qui associe portraits photographiques et matière céramique. Impensable, mais ça marche ! Pas de doute : le hibou, vigie de son enfance, continue de veiller sur la bonne étoile de Denis Darzacq.

« Comme un seul homme. Denis Darzacq »
Du 17 décembre 2016 au 30 avril 2017. Musée des beaux-arts, Palais Fesch, 50-52, rue Cardinal-Fesch, Ajaccio (20). Ouvert tous les jours sauf mardi de 10 h à 17 h, et de 12 h à 17 h jeudi et vendredi. Tarifs : 5 et 8 €. www.musee-fesch.com

« Des arbres en hiver »
Jusqu’au 28 février 2017. Domaine de Chaumont-sur-Loire, Chaumont-sur-Loire (41). Ouvert tous les jours de 10 h à 17 h. Tarifs : 4 à 12 €. www.domaine-chaumont.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°697 du 1 janvier 2017, avec le titre suivant : La veilleuse de Denis Darzacq

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