La V de Philippe Starck - L’auto de l’été

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2012 - 794 mots

Les voitures dites « minimum » sont rares, mais elles ont marqué leur époque. On se souvient notamment, outre-Manche, de l’amusante Mini-Moke d’Austin (1964-1989) imaginée par le designer Alec Issigonis – père de la Mini –, au volant de laquelle l’acteur Patrick McGoohan déambule dans la célèbre série télévisée britannique « Le Prisonnier ».

En France, il y a eu la Méhari (1968-1987) de Citroën, fameuse voiture de plein air à deux ou quatre places et à la carrosserie en résine plastique colorée dans la masse, conçue par Roland Paulze d’Ivoy de la Poype, inventeur et industriel pionnier de la plasturgie. Le nuancier proposé alors faisait à lui seul voyager : rouge Hopi, vert Tibesti ou Montana, orange Kirghiz, beige Kalahari ou Hoggar, jaune Atacama. Pour concurrencer ladite Méhari, Renault sortit de son côté la Rodéo (1970-1981), un brin plus fade avec sa carrosserie en polyester stratifié. Mais celle qui, côté « minimum », reste bien ancrée dans les annales est la « TPV » [Toute petite voiture], qui deviendra la… 2CV (1948-1990).

Rappel historique : en 1935, alors patron de Citroën, Pierre-Jules Boulanger demande à son bureau d’études d’imaginer « une voiture destinée aux classes sociales du monde rural et à faibles revenus ». Le cahier des charges, selon des versions plus ou moins concordantes, est ainsi libellé : « Faites étudier par vos services une voiture pouvant transporter quatre personnes, 50 kg de bagages, à une vitesse maximum de 60 km/h pour une consommation de 3 litres d’essence aux 100 kilomètres, possédant une suspension permettant de traverser un champ labouré avec un panier d’œufs sans en casser un seul. En outre, ce véhicule doit être suffisamment léger pour être manié sans problème par une conductrice débutante. Enfin, je vous précise que son esthétique m’importe peu. (sic) »

« Less and more »
En ces temps nouveaux du développement durable, la notion de « véhicule minimum » revient avec récurrence sur le devant de la scène automobile, notamment à travers la question de la voiture électrique. Ainsi, en mars, lors du 82e Salon de l’auto de Genève (Suisse), la firme française Electric Car, basée à Davézieux (Ardèche), a dévoilé son nouveau modèle « V », dessiné par Philippe Starck sur une base déjà existante produite par l’entreprise rhônalpine, le 4 x 4 électrique « Voltéis ». Les premières livraisons sont attendues pour la deuxième quinzaine de juillet.

« Moi, je n’y connais rien à l’automobile, je ne suis pas designer automobile, explique Starck. Par contre j’aurais aimé avoir un véhicule tout bête comme dans les jeux d’enfants, une boîte à savon avec quatre roues, presque pas de moteur, quatre sièges très simples, et je crois que je serais très content avec ce presque rien. » Tant mieux, car son « presque rien » ressemble effectivement à une « caisse à savon », améliorée façon engin lunaire avec châssis en inox argenté, cadre en fonderie d’aluminium et pare-brise panoramique. Pas de carrosserie proprement dite, mais une bâche textile en guise de toit et un encombrement réduit : L. 2,67 m x l. 1,88 m x H. 1,62 m. Néanmoins, pour ajouter une touche bucolique, Starck a fait fabriquer par la firme allemande Dedon, pour laquelle il conçoit déjà des meubles et qui est spécialisée dans la fibre tressée et le mobilier d’extérieur, le « coffre » avant en forme de panier et les quatre sièges. La V se présente donc comme le véhicule de loisir par excellence, d’autant que, avec une vitesse maximale de 65 km/h, une autonomie moyenne de 60 km et un temps de charge de six heures, son rayon d’action est, fatalement, limité.

« Comment faire toujours moins ? », s’interroge Starck. À l’aphorisme « Less is more » [Moins, c’est plus] cher à l’architecte allemand Mies van der Rohe, le designer substitue ce qu’il appelle un « Less and more » [Moins et plus]. « Si on a moins, on peut finalement avoir plus : plus d’humanité, plus de liberté, plus de légèreté », avance-t-il, lyrique. Afin que personne ne l’oublie, la formule a carrément été gravée sur le volant en inox. « C’est un véhicule minimum en tout », résume Starck. Sauf en… prix. Coût de l’engin : 25 000 euros HT pour la version 2 roues motrices et 26 500 euros HT pour la version 4 roues motrices. À titre indicatif, une Renault Clio débute à 8 000 euros et une Citroën C1 à 9 250 euros. Sans doute s’agit-il d’illustrer, une fois encore, le fameux « Plus » de la formule starckienne. Dans les années 1960, paraît-il, le slogan publicitaire de la 2CV vantait la voiture de manière plus subtile : « Quatre roues sous un parapluie. » Ni plus, ni moins.

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Philippe Starck

Légende photo

Philippe Starck pour Electric Car - Voltéis V (2012) - © Electric Car

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : La V de Philippe Starck - L’auto de l’été

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