Photographie

Londres

La photo à l’extrême par deux monstres sacrés

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2013 - 709 mots

À la Tate Modern, la double rétrospective William Klein Daido Moriyama confronte ces figures radicales des arts visuels du XXe siècle et célèbre le livre de photographie.

LONDRES - Opposer William Klein (né en 1928, New York), champion en titre du pamphlet visuel, à Daido Moriyama (né en 1938, à Osaka), son challenger, tenant de la photo underground japonaise, était en soi un défi. Leurs livres coup-de-poing ont brisé les conventions photographiques. À la Tate Modern, l’exposition « William Klein Daido Moriyama » transpose sur les cimaises ces chefs-d’œuvre ayant l’expérience de la cité pour objet. « Quand Daido Moriyama a retrouvé des négatifs de son livre (tokyoïte) Farewell Photography (Adieu Photographie, 1972) qu’il n’avait jamais tirés, l’idée est née de le confronter à William Klein dont le livre le plus influent Life is Good and Good for You in New York a changé la pensée mondiale de la photographie en 1956 », explique Simon Baker, commissaire et conservateur de la Photographie à la Tate. « J’ai trouvé ridicule cette exposition entre nous car Moriyama s’est inspiré de mon travail depuis trente ans », assène en revanche William Klein dont l’œuvre graphique puissante regarde vers Moholy-Nagy, photographe théoricien du Bauhaus, comme en témoignent à la Tate de superbes photogrammes méconnus.

À l’entrée, un composite géant juxtapose ses portraits cultes, des couvertures de livres, du magazine de mode Vogue, des affiches de ses dix-huit films satiriques des années 1960-1980 – Qui êtes-vous Polly Magoo ?, Mister Freedom – et de documentaires chocs comme le combat de boxe Cassius le Grand (1974) : en un coup d’œil s’y lisent les inventions d’un rebelle venu à Paris dans les années 1950.

Issu d’une famille juive hongroise immigrée à New York, Klein sert dans l’armée d’Occupation US en Europe. Démobilisé en 1947, le soldat fréquente l’atelier de Fernand Léger. Celui-ci exhorte : « Sortez, l’art est dans la rue ». De retour à New York en 1954 où émerge l’action painting, le peintre âgé de 26 ans achète un Leica et tient un journal déambulatoire pour Vogue. Il photographie la rue comme on la filme. Un acte physique, spontané qui décadre les visages de passants, bascule les plans, séquence les images. Refusées, ces photos brutales, floues, bougées, avec du grain cognent sur le rêve américain. « Je cherchais le degré zéro de la photographie », dira Klein. Plus radical que Les Américains de Robert Frank, Life is Good and Good for You in New York, publié en 1956 aux éditions du Seuil, bouleversera l’histoire de la photographie. Daido Moriyama en assume l’héritage.

« Le livre de photo c’est l’œuvre », déclare-t-il en préambule de sa section. À contre-pied du dynamisme coloré de Klein, le nihilisme de ses images noir et blanc dit les influences littéraires. En 1962 l’assistant de Eikoh Hosoe, figure de l’agence Vivo, participe à l’ouvrage Barakei érotisant l’écrivain Mishima. Devenu indépendant, Moriyama publie Japan : a photo theatre (1968), des portraits déjantés d’acteurs. S’inspirant d’On the road de Jack Kerouac, roman culte de la Beat Generation, Moriyama s’essaie au « road photo » autour de Tokyo.

De son enfance nomade, il traduit en 1971 l’errance urbaine dans Another country in New York d’après James Baldwin, tandis que Stray Dog, le chien errant, devient sa signature. Témoin du Japon atomisé, occupé, puis contestataire en 1968, son style radical allie la désespérance de Dada à la rébellion du pop art. Ses nocturnes désolés qu’éclaire une déflagration solaire, sa lumière qui perce une infinité de gris, ses Accidents warholiens sont abolis lorsqu’en 1968 la revue avant-gardiste Provoke prône la « création instantanée » ayant pour mot d’ordre « du flou, du bougé, du grain ».

En 1972, Moriyama anéantit le photographique « trop satisfait de lui-même », dit-il : sans regarder dans le viseur, il réduit Tokyo à des images illisibles : Farewell Photography, reste une bombe artistique ripostant à l’Amérique dont Memory (2011), son ultime installation à la Tate, ne conserve qu’un éclat.

William Klein + Daido Moriyama

Jusqu’au 20 janvier Tate Modern, Bankside, Londres, www.tate.org.uk, tlj 10 h-18h, vendredi-samedi jusqu’à 22h.

William Klein : ABC, texte de David Campany, 182 pages, Tate Publishing, 25 £ (31 €), Daido Moriyama édité par Simon Baker, 217 pages, Tate Publishing, 24,99 £ (30 €)

William Klein Daido Moriyama

Commissaires : Simon Baker, conservateur de la Photographie et l’art international, et Juliet Bingham, conservateur, Tate Modern

Nombre d’œuvres : 300 œuvres comprenant des photographies, contacts peints, installations et extraits de films

Voir la fiche de l'exposition : William Klein/Daido Moriyama

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : La photo à l’extrême par deux monstres sacrés

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