Rétrospective

La logique de Baldessari

Au Metropolitan Museum of Art, à New York, la riche exposition consacrée à John Baldessari montre l’apport conceptuel de l’artiste californie

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2010 - 712 mots

NEW YORK - En 1974, John Baldessari produit une œuvre drôlissime dans laquelle son portrait, en format photo d’identité, se voit répété à onze reprises, avec à chaque fois une intervention portant sur la couleur et la densité de ses attributs capillaires (Portrait : (Self) #1 as Control 11 Alterations by Retouching and Airbrushing).

Photoshop n’existe pas encore, mais l’artiste californien, alors actif depuis une bonne douzaine d’années, est déjà passé maître dans l’art de retoucher la réalité : une spécialité qu’il n’a jamais abandonnée tout au long de sa prolifique carrière. Qui dit retouche induit manipulation et modification, qui chez Baldessari se traduisent par un positionnement assumé à la marge, à la périphérie du territoire – géographique comme artistique – et, par extension, à celle de l’image et du concept. Cette perpétuelle quête d’exploration du réel par le biais du décalage est formidablement rendue par la riche exposition rétrospective que lui consacre le Metropolitan Museum of Art, à New York, dernière étape d’une tournée passée par la Tate Modern de Londres, le Musée d’art contemporain de Barcelone (Macba) et le Los Angeles County Museum of Art (Lacma). 

Actions absurdes 
Si l’accrochage de « John Baldessari. Pure Beauty » a une qualité, c’est de faire la part belle aux années 1960 et 1970, qui voient l’artiste passer de la pratique du tableau à un langage conceptuel version « côte ouest ». De fait, le tableau l’ennuie assez vite, et la peur de se laisser enfermer dans la « vieille peinture » le conduit à en examiner des à-côtés, comme lorsqu’il fait réaliser ses toiles par d’autres (les Commissioned Paintings de 1969) ou y introduit le texte, seul ou accompagné d’images très banales qui donnent à celles-ci une autre consistance (Econ-O-Wash, 14th and Highland, National City, Calif., 1966-1968).
Sous l’influence de Lévi-Strauss et de la sémiotique, son langage s’intéresse au signe et à l’impact visuel de la communication. S’ensuivent de nombreuses séries relatant des actions absurdes, telles frapper des objets avec un club de golf pour tenter de leur faire atteindre le centre de l’image, ou jeter en l’air trois boules rouges en espérant les photographier en ligne ! Surtout, apparaît très vite un intérêt fondamental pour la couleur comme élément prédominant dans la structure de l’image, comme en attestent les Car Color Series (1976), détails de portières de voitures stationnées sur une même artère à un instant T, ou les clichés de la façade d’une maison devant laquelle sont jetés des volumes de couleur qui en modifient la teneur (Floating : Color, 1972). Autant de prémices au développement des hybrides de peinture et de photographie caractéristiques de sa pratique à partir du milieu des années 1980, où l’association d’images fixes ne masque pas un effet cinématique : Baldessari vit à Los Angeles… 

Une dernière décennie  trop vite expédiée 
L’œuvre tend à l’élaboration de structures narratives d’autant plus complexes que le fait de masquer des visages ou des parties du corps, de souligner certains volumes avec de la couleur, de jouer en virtuose des découpages et superpositions, crée des tensions, contraint le regard à se déplacer vers des zones « secondaires » du motif, et provoque des questionnements qui induisent une diversification des sens et des lectures possibles tout en générant des attentes – celles d’un possible développement hors de l’écran. Infatigable expérimentateur, l’artiste poursuit son questionnement formel et conceptuel de la nature et des marges de l’image. La dernière décennie de son travail n’est pas la moins fertile, qui le voit revenir au langage écrit – comme avec ce visage auquel sont adjoints des adjectifs participant à la fausse description d’une émotion (Prima Facie (Third State) : From Aghast to Upset, 2005) – ou expérimenter la sortie du cadre avec une peinture murale d’où émerge un volume (Arms & Legs…, 2008). Une décennie traitée en une petite dizaine d’œuvres, dans une salle étriquée, qui laisse le visiteur sur sa faim alors qu’il fut tout au long du parcours tenu en haleine par l’impeccable continuité de la logique de John Baldessari. 

JOHN BALDESSARI. PURE BEAUTY,

Jusqu’au 9 janvier 2011, The Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York, tél. 1 212 535 7710, www.metmuseum.org, tlj sauf lundi 9h30-17h30, vendredi et samedi 9h30-21h. Catalogue, coéd Lacma et Prestel, 330 p., 400 ill., ISBN 978-3-7913-4345-7

JOHN BALDESSARI

Commissaires : Leslie Jones, conservatrice au Los Angeles County Museum of Art ;
Jessica Morgan, conservatrice à la Tate Modern (Londres)

Nombre d’œuvres : 124

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : La logique de Baldessari

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