Fondation

La Fondation Hartung Bergman, à Antibes

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 1 septembre 2022 - 1522 mots

Après deux années de travaux, cet ensemble architectural remarquable où vécurent ces deux artistes inclassables ouvre ses portes au public. Le temps y est suspendu et nous invite à pénétrer dans l’univers créatif de Hans Hartung et Anna-Eva Bergman.

Une villa d’un blanc éclatant, entourée d’oliviers centenaires, qui se détache sur le bleu du ciel : c’est le paradis qu’ont créé les peintres Hans Hartung et Anna-Eva Bergman sur les hauteurs d’Antibes. Cette maison-atelier, où ils vécurent et qui abrite depuis 1994 leur fondation, ouvre depuis cette année ses portes au public, entre mai et fin septembre, après deux années de construction et d’aménagements, « nécessaires pour faire de cette maison un lieu que l’on peut visiter », explique Thomas Schlesser, directeur de la fondation depuis 2014. Un bâtiment d’accueil, dessiné par l’architecte Cristiano Isnardi pour s’intégrer avec délicatesse dans l’ensemble architectural, a vu le jour, une salle de projection a été aménagée, tandis qu’un centre de recherche reçoit les chercheurs dans des conditions idylliques. Quant aux ateliers réhabilités des artistes, ils accueillent désormais des expositions. Celle de cette année, intitulée « Les archives de la création », nous plonge dans le processus créatif de ces artistes de l’art moderne, au sein même de la villa qu’ils ont bâtie, labellisée Patrimoine du XXe siècle.

La maison d’une vie

Lorsqu’ils achètent ce terrain planté d’oliviers en 1961, Hans Hartung a 57 ans et Anna-Eva Bergman 52. Ce paysage où la mer se mêle au soleil – l’éternité selon Rimbaud –, a pour ces deux écorchés vifs un parfum de terre promise. Là, espèrent-ils, ils pourront panser leurs blessures d’amour et de guerre, créer, s’aimer enfin et, un jour, offrir à leurs œuvres un lieu de conservation et de rayonnement. Ces exilés (lui d’Allemagne, elle de Norvège) se sont rencontrés dans l’effervescence du Paris des Années folles, en mai 1929, et se sont mariés presque aussitôt. Ils divorcent en 1937. Leurs chemins se recroisent en 1952, à l’occasion d’une exposition consacrée à Julio González au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Chacun s’est entre-temps remarié. Ils décident de divorcer de leurs nouveaux conjoints. En 1957, ils se marient à nouveau et cette fois pour toujours. Les errements et les ouragans de la furieuse jeunesse sont passés. La solitaire Anna-Eva Bergman, à l’enfance et au corps souvent douloureux, a trouvé loin des tourments de Hartung et des contraintes de la vie domestique un élan pour devenir artiste. Celle qui était déjà une dessinatrice de talent s’est lancée après la guerre dans une quête artistique, qui l’amène à peindre en construisant ses paysages spirituels avec le nombre d’or, à utiliser la feuille de métal pour nous donner à entrevoir la lumière, à voyager le long des côtes norvégiennes où elle se nourrit de la lumière du soleil de minuit et des mythes de son enfance. Hans Hartung, lui, a enduré la pauvreté et la solitude, le manque de reconnaissance, connu l’horreur de la guerre qui lui a arraché une jambe alors qu’il combattait l’Allemagne hitlérienne, lui l’Allemand qui sera naturalisé français en 1946. Pourtant, alors même qu’il a le sentiment d’avoir raté sa vie, Hans Hartung voit enfin son œuvre reconnue : il reçoit en 1960 le Grand Prix international de peinture à la Biennale de Venise. L’aisance financière qu’il acquiert lui permet notamment de concevoir à Antibes une maison-utopie.

La réminiscence d’une maison minorquine

C’est lui-même qui dessine les plans de cet ensemble architectural qui sera bâti à flanc de colline. Dans les hauteurs du terrain, Hans et Anna-Eva disposent leur chambre, la cuisine, les espaces de leur vie commune, autour d’une piscine aux petits carreaux bleus. « Ils vivaient là avec une grande simplicité. Ils nageaient chaque matin, travaillaient beaucoup. C’étaient des gens très sympathiques », se souvient en souriant Marcelle Driesen, qui fut leur cuisinière avant de devenir celle de la fondation. En contrebas, au milieu des oliviers centenaires, Hans et Anna-Eva ont bâti leurs ateliers : celui d’Anna-Eva Bergman, qui travaillait dans le silence de sa solitude, et celui de Hans Hartung, entouré d’assistants, devant lequel le couple retrouvait souvent ses amis, le soir venu, sous la pergola. D’aucuns voient dans l’architecture minimaliste du lieu les canons d’un modernisme affilié au Bauhaus, d’autres s’émerveillent de cette domus romaine contemporaine, avec ses cours extérieures et sa piscine évoquant le bassin recueillant les eaux de pluie au centre de l’atrium des maisons antiques. Hans et Anna-Eva diront qu’ils ont simplement puisé leur inspiration de l’architecture vernaculaire de la Méditerranée, avec ses volumes simples, où l’on traverse des patios pour passer d’une pièce à l’autre, où les murs reflètent la lumière qui vient les frapper. « Il me semble que cette maison est une réminiscence de celle, toute simple, qu’ils s’étaient construite en 1932 à Fornells, sur l’île de Minorque, dans les Baléares », observe Thomas Schlesser. Avec des artisans locaux, ils avaient alors érigé, presque sur la plage, un cube blanc en ciment à l’eau de mer, comme des enfants s’amusant à construire une cabane dans les arbres, où ils vécurent deux ans, avant d’être accusés d’espionnage et de devoir quitter les lieux. « S’ils y ont vécu dans la pauvreté et la maladie, ils ont néanmoins le sentiment d’avoir alors été chassés du paradis », confie Thomas Schlesser. À Antibes, ils l’ont retrouvé et démultiplié.

L’exposition inaugurale 

À l’occasion de son ouverture au public, de mai à septembre inclus, la Fondation Hartung-Bergman propose une exposition annuelle. Intitulée « Les archives de la création », l’exposition inaugurale nous invite à découvrir, jusqu’au 30 septembre 2022, la « fabrique » des univers d’Ana-Eva Bergman et de Hans Hartung. Dans l’atelier d’Anna-Eva, chaque toile évoque un thème de « l’art d’abstraire » de l’artiste : l’océan infini, la stèle, la barque qui annonce la mort, la montagne construite au nombre d’or, l’astre éternel, où se rencontrent le matériel et l’immatériel. Ces tableaux, les photographies prises pendant ses voyages en Norvège où elle est bouleversée par la lumière et le soleil de minuit, ses outils ou des clichés où on la voit peindre sur ces feuilles de métal nous plongent au cœur de sa création. Dans l’atelier de Hans Hartung, on découvre l’itinéraire du peintre, depuis son premier ensemble de peintures abstraites, en 1931, reconstitué grâce à l’acquisition en juin dernier d’un tableau qui avait disparu de cette série, jusqu’à ses dernières toiles si pleines de vie et de fureur de peindre, en passant par les photographies, où on le voit poser et se positionner en tant qu’artiste, de façon de moins en moins classique.

Marie Zawisza

 

Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman,

173, chemin du Valbosquet,Antibes (06). Ouverte de mai à septembre, du mercredi au vendredi de 10 h à 18 h. www.fondationhartungbergman.fr

L’accueil 

Conçu par l’architecte Cristiano Isnardi, ce nouveau bâtiment symbolise la trans-formation de la maison de Hartung et Bergman en un lieu qui se visite. Un escalier au long duquel sont présentées les chronologies des vies des deux artistes débouche sur une boutique qui est aussi un espace d’exposition, puisqu’on peut y admirer des estampes ou la pierre à lithographier de Hans Hartung. À la sortie, sur la terrasse, Marcelle, qui fut la cuisinière du couple avant de devenir celle de la fondation, tient une buvette où elle propose notamment sa spécialité de la région faite maison, la fameuse pissaladière !


L’atelier d’Anna-Eva 

C’est en descendant un chemin parmi les oliviers centenaires – on en récolte toujours les fruits pour en faire de l’huile d’olive ! – que l’on pénètre dans l’atelier d’Anna-Eva Bergman, où elle put enfin créer comme elle le désirait, aujourd’hui transformé en espace d’exposition. « Il fut pour elle un lieu de solitude longtemps espéré, alors que celui de Hartung était une véritable ruche ! », raconte Thomas Schlesser. Une baie vitrée s’ouvre sur le champ d’oliviers. Face à la porte, une impressionnante table en roches monumentales rappelle la passion de l’artiste pour les pierres, dont la fondation conserve des cartons entiers.


Le centre de recherche 

Articles de presse, lettres, carnets, dessins, livres, enregistrements… La fondation regorge de documents qui éclairent la création de Hans Hartung et d’Anna-Eva Bergman, en même temps qu’ils ressuscitent la vie quotidienne des artistes et la vie culturelle de l’époque. Elle abrite en outre un fonds important de photographies, artistiques et documentaires, des années 1910 à 1980. Ces archives foisonnantes, pour la plupart intégrées à une base de données, sont accessibles aux étudiants et aux chercheurs, sur demande, dans le cadre d’un projet.


L’atelier de Hans 

Après les espaces d’exposition, qui étaient pour Hartung un showroom où il recevait pour montrer ses œuvres, une porte débouche sur ce qui fut son dernier atelier, conservé de façon remarquable. Face à une toile monumentale, son fauteuil roulant, qu’il avait lui-même bricolé. Autour de lui, ses outils : des pinceaux géants, branches de genêt fixés sur des balais, des racloirs et, surtout, des sulfateuses de jardin, qui lui permettaient de projeter la peinture sur la toile – et aussi sur les murs ! Une plongée dans la création, au son de la musique de Bach, que Hartung aimait écouter quand il peignait. À l’arrière de l’atelier, ne manquez pas, dans l’alcôve, le « tombeau » où reposent des vestiges de la vie des artistes.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°757 du 1 septembre 2022, avec le titre suivant : La Fondation Hartung Bergman, à Antibes

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