Art contemporain

COLLECTION PRIVÉE

La Flick Collection quitte Berlin

BERLIN / ALLEMAGNE

Le partenariat avec les musées publics de la cité-État prend fin en 2021. La collection d’art contemporain pourrait être accueillie en Suisse malgré un précédent échec.

Marcel Broodthaers, Un Jardin d‘Hiver, 1974, Hamburger Bahnhof, Berlin, Friedrich Christian Flick Collection. © Photo Jean-Pierre Dalbéra
Marcel Broodthaers, Un Jardin d'Hiver, 1974, Hamburger Bahnhof, Berlin, Friedrich Christian Flick Collection.

Berlin. Le communiqué de presse du 24 avril a pris de court le monde de l’art allemand : il annonce la fin du partenariat, en septembre 2021, entre les musées publics berlinois, réunis sous l’entité de la Fondation du patrimoine culturel prussien (Stiftung Preußischer Kulturbesitz, SPK), et la Collection d’art contemporain du milliardaire Friedrich Christian Flick. La Flick Collection, qui était accueillie au sein de la Hamburger Bahnhof, le Musée d’art contemporain de la capitale allemande, se voit obligée de quitter les lieux, les halls d’exposition de cette ancienne gare faisant l’objet d’un projet de destruction. Une partie de la collection y était exposée depuis 2004, à la suite de l’accord (renouvelé pour dix ans en 2011) entre Flick et les musées d’État berlinois.

En 2008, puis en 2015, F. C. Flick léguait des œuvres au SPK : 268 pièces qui resteront bel et bien à Berlin après le départ de la Collection. Mais à Berlin, c’est un sentiment d’échec et de frustration qui domine à l’idée de voir partir, après dix-sept ans de succès, l’unique collection d’art contemporain en prêt dans les musées publics de cette importance, puisque riche en tout de 2 500 œuvres.

L’accueil de la Collection n’y avait cependant pas été sans remous en 2004. Face aux réticences, Flick invoquait à l’époque son désir de « donner à son patronyme familial une dimension positive et ce, durablement ». La ministre d’État allemande de la Culture, Christina Weiss, renchérissait, décrivant cette installation à Berlin comme « un acte partiel de pansage de la plaie ouverte pendant la période nazie ». Car, si Flick avait débuté dans les années 1980 son activité de collectionneur, conseillé par des marchands d’art réputés tels Iwan Wirth ou David Zwirner pour acquérir des œuvres de Wolfgang Tillmans, Bruce Nauman ou Martin Kippenberger, l’origine de sa fortune faisait encore débat au début des années 2000. Il est en effet l’héritier du magnat allemand Friedrich Flick, industriel allemand actif dans le domaine de l’armement durant la Seconde Guerre mondiale. Proche du national-socialisme, Friedrich Flick est condamné à sept ans de prison pour crimes de guerre au procès de Nuremberg en 1947. Dans l’après-guerre, il devient pourtant l’un des hommes les plus riches de la République fédérale d’Allemagne. L’héritage est lourd pour son petit-fils, Friedrich Christian Flick, né en 1944. Celui-ci pourtant refuse d’endosser la culpabilité liée à l’histoire familiale, ne contribue pas au fonds d’aide aux victimes du travail forcé (*) et préfère parler de responsabilité morale personnelle, en créant sa propre fondation contre le racisme et l’intolérance.

L’échec de 2001

Le communiqué de presse ne donne aucune précision sur le devenir de cette collection – tout juste apprend-on que le collectionneur âgé de 75 ans y réfléchit, ses héritiers ne témoignant pas d’un goût particulier pour l’art. De la Flick Collection, contactée, rien ne filtre non plus : « M. Flick s’appuie sur le communiqué de presse officiel du SPK ainsi que sur la déclaration commune et ne souhaite pas faire de commentaires à ce sujet. » Pourtant, les spéculations vont bon train sur un possible retour de la Collection en Suisse où Flick, certes allemand, réside à Gstaad, dans les Alpes bernoises. D’autant que celui-ci avait déjà pensé, il y a vingt ans, installer sa Collection à Zürich, où se trouve son siège. En 2001, le collectionneur allemand y planifiait en effet la construction de son propre musée par l’architecte Rem Koolhaas. Mais plusieurs voix du monde culturel, emmenées par le directeur du théâtre de la ville, Christoph Marthaler, s’opposèrent au projet, dénonçant l’origine « scandaleuse » de la Collection Flick, évoquant des œuvres « qui empestent l’odeur du sang et de la mort ». Flick abandonna donc son projet et transporta ses œuvres à Berlin.

Reste à savoir si Flick a digéré l’échec de 2001 et si la Suisse de 2020 est prête à accueillir cette prestigieuse collection dont le parfum de soufre s’est estompé avec les années et le succès berlinois. Nombreuses semblent les institutions aujourd’hui intéressées par cet enrichissement de leurs collections. Parmi elles, le Kunstmuseum de Berne ou la Kunsthaus de Zürich, laquelle achèvera son chantier d’extension en 2021 et y accueillera des collections privées : elles s’accordent toutes deux à évoquer, pour le moment, des « rumeurs sans fondements ».

NOTE

(*) En 2005, Friedrich Christian Flick se ravise et fait un don de 5 millions d’euros au fonds allemand d’indemnisation des travailleurs forcés sous le régime nazi.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°547 du 5 juin 2020, avec le titre suivant : La Flick Collection quitte Berlin

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