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Paroles d’artiste

Jonathan Monk : « Flou est le terme le plus approprié »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2008 - 839 mots

Comme il en est coutumier, Jonathan Monk livre à la galerie Yvon Lambert, à Paris, une exposition tout en humour et finesse, qui trouve ses racines chez Marcel Duchamp.

Il y a dans l’exposition six œuvres drôles et troublantes issues du fameux tableau Ema (1966) de Gerhard Richter, que vous reprenez en y ajoutant trois ampoules rouge, jaune et bleue (Mutton dressed as lamb, 2007)...
Je crois que le point de départ, pour l’ensemble de l’exposition, fut le Nu descendant un escalier (1912) de Duchamp. En y pensant, je me suis souvenu de la confusion quant au genre de ce nu : était-ce un homme ou une femme ? La première chose que j’ai faite a donc été le double film vidéo Nudes descending the Stairs (2007), montrant un homme et une femme nus descendant un escalier. Ils sont tous deux transsexuels. D’une manière ou d’une autre, leur genre est ailleurs. Les peintures de Richter sont venues ensuite...Je crois que tous les autres artistes sont fascinés par cette peinture, à cause de cette référence directe de Richter à Duchamp et par le fait que tellement de gens se réfèrent à Duchamp, et à cette œuvre en particulier. Les toiles de Richter sont peintes à l’envers et fonctionnent donc comme un reflet de l’original. Je souhaitais juste rendre les œuvres un peu plus difficiles à lire. J’ai alors décidé de les activer, de les embellir en quelque sorte. Pas de les améliorer, mais de les modifier. J’y ai donc ajouté les ampoules en pensant à toutes les combinaisons possibles des trois couleurs.

L’image du miroir est récurrente dans l’exposition, avec notamment ces deux disques qui tournent suspendus au plafond, l’un en verre transparent et l’autre qui est une glace sans tain (Stop me if you think you’ve heard this one before, 2007). Vus de loin, ils semblent être des miroirs, or ils n’en sont pas...
En effet, parfois vous pensez qu’il s’agit d’un miroir, parfois juste d’un morceau de verre. Ils sont un peu comme des yeux qui tournent, ou comme une paire de lunettes peut-être ? Et ils reflètent ce qu’ils voient : les autres œuvres, l’espace, l’organisation de l’exposition et vous-mêmes dans l’espace. C’est aussi une référence à une œuvre plus ancienne, reposant sur des principes similaires : un côté était en miroir et l’autre blanc. Vous apparaissez et disparaissez, puis vous réapparaissez lentement. Il y avait donc toujours cette idée de me répéter moi-même, mais d’une autre manière. Le titre signifie pour moi qu’une de ces choses est toujours en train de parler à l’autre. Car elles se regardent en permanence, même si elles ne se touchent pas !

Ces idées d’apparition et de disparition reviennent assez souvent chez vous, et encore ici dans les photos mêlant deux images de performances de Vito Acconci et Lynda Benglis (Double Exposure, 2007). Les corps apparaissent et en même temps semblent disparaître...
Oui, absolument. Je suppose que cette idée de la disparition, c’est comme être ça ou ne pas être ça, quelque chose dans ce genre-là. C’est plus l’idée de laisser une trace. De qui est ce travail ? Est-ce le mien ou le leur ? Avec tous les yeux peints sur des planches de bois (Eye pictures, 2007), il y a aussi une interrogation sur cette question d’être en train de vérifier soi-même, de regarder, de voir son reflet et alors de disparaître. Je crois que ce sont des choses importantes auxquelles j’ai pensé ces derniers temps : comment puis-je développer une œuvre qui s’accorde avec cette idée de copier une peinture de Duchamp d’une manière différente ? Car j’espère que cela peut ne pas être évident ou immédiatement clair. Je souhaite aussi que les œuvres croissent l’une à travers l’autre d’une certaine manière. Tout cela inclut aussi de leur adjoindre des œuvres plus anciennes, afin de voir comment elles s’insèrent avec l’exposition. Et si ce n’est pas le cas, cela n’est pas vraiment un problème. Mais me demander « Est-ce que ce collage que j’ai fait il y a dix ans (Bruce Nauman without spectacles, 1998) peut être placé à côté de cet objet que personne n’a jamais vu auparavant ? » est une manière intéressante de travailler.

Vous avez écrit cette phrase : « Tout sera plus ou moins clair ou pas dans un futur proche ou pas si proche ». Vous aimez rendre floues les choses ?
Flou est, en effet, le terme le plus approprié, car qu’est-ce qui est clair à la fin ? Je m’intéresse aussi aux erreurs commises dans les extensions du travail. Si vous êtes heureux d’autoriser d’autres personnes à parler de votre travail, alors évidemment vous pouvez être confronté à des milliers de différentes façons d’y penser. J’aime aussi cette idée que quelqu’un d’autre en parle et puisse se tromper. Je ne l’arrêterai pas !

JONATHAN MONK, APPLES AND PEARS AND OTHER FRUITS OF THE FOREST

Jusqu’au 19 janvier, Galerie Yvon Lambert, 118, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 71 09 33, www.yvon-lambert.com, tlj sauf dimanche, lundi, 10h-13h/14h30-19h, samedi 10h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Jonathan Monk

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