Guillaume Houzé, collectionneur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 février 2011 - 1486 mots

Après avoir promu la scène française au travers des expositions « Antidote », Guillaume Houzé annonce la création de la future fondation des Galeries Lafayette.

Ceux qui ont vu Guillaume Houzé débarquer dans le milieu de l’art voilà six ans ont pu le prendre pour un jeune chien fou, fêtard et noctambule. Désormais promu directeur du mécénat et directeur adjoint du marketing aux Galeries Lafayette, l’héritier du grand magasin a pris de la bouteille. Et ses ambitions ont augmenté. Car il ne veut plus juste soutenir la scène française à travers la série d’expositions « Antidote » organisées à la Galerie des galeries (au 1er étage des Galeries Lafayette Haussmann, à Paris). Il pose aujourd’hui les jalons d’une fondation de 2 500 m2, qui devrait prendre pied en 2013-2014 dans un ancien bâtiment du BHV situé dans le quartier du Marais. Un lieu qui traitera de la création contemporaine, de la mode et du design sous la houlette d’un directeur délégué, François Quintin, ex-responsable de la programmation de la galerie parisienne Xippas. L’art est une affaire de famille. L’arrière-grand-père de Guillaume Houzé collectionnait les impressionnistes et possédait notamment un Soutine qui le marquera. Ses grands-parents achetaient, pour leur part, des artistes de l’école de Paris : Poliakoff, Lanskoy et Fautrier. En revanche, la collectionnite saute une génération et n’affecte guère ses parents. Encore que, depuis quelque temps, sous l’impulsion de leur fils, ils en aient pris le pli, achetant aussi bien les frères Bouroullec, Buren, Michel François que Rodney Graham. De 10 à 15 ans, Houzé s’entiche de la Figuration libre, se fait offrir un Di Rosa et achète lui-même un Erró. « Il avait des goûts bien précis et, tout d’un coup, s’emballait pour une gravure et c’est celle-là qu’il lui fallait. Il a toujours été excessif, se remémore sa grand-mère Ginette Moulin, avec laquelle il entretient une complicité toute particulière. Enfant, Guillaume avait du charme, il était difficile à contrôler. Je n’ai pas eu de préférence pour un de mes petits-enfants en particulier, mais j’ai toujours cherché à le rassurer, car c’est un inquiet. Il pouvait s’emballer ou déprimer, on cherchait à le réguler. En vieillissant, il se calme. »

Touche nouvelle
En 2004, après des études d’économie et de gestion à Nanterre, il crée sa propre société, Air de Je, dédiée à l’univers de la chambre d’enfant. À peu près au même moment lui vient une idée : créer un rendez-vous annuel aux Galeries Lafayette pour la promotion de la scène artistique française, dans un espace dont l’usage avait été jusqu’alors erratique. Le nom ? « Antidote », comme un contrepoison au pessimisme ambiant avec des artistes comme Saâdane Afif, Michel Blazy, Jean-Luc Verna ou Tatiana Trouvé. « Le propos initial n’était pas une volonté cocardière, explique-t-il. Je voulais juste montrer qu’une scène forte existait, qu’il y avait un après-Parreno/Huyghe alors qu’on pensait que l’herbe était plus verte ailleurs. C’était aussi la représentation d’une génération de galeries. » Une gageure tout d’abord vis-à-vis de sa famille, qui considère désormais cette action comme un projet d’entreprise. « Guillaume a su profiter de l’occasion et m’a convaincue au bon moment, estime Ginette Moulin. Je le soutiens, car il veut aller vers les autres, et ne pas se contenter d’être un magasin qui vend. Il est bien accepté par le personnel, car tout le monde se rend compte qu’il apporte une touche nouvelle. Il a repris, régularisé et poussé plus loin ce que nous faisions auparavant. » La réussite n’allait pas non plus de soi dans le milieu de l’art. On aurait pu hurler à l’opération de communication, même si les Galeries avaient accueilli, en 1946, le Salon de mai. « Le grand magasin pouvait être vu de façon douteuse, mais il a réussi à ce que le lieu ne suscite aucune critique car il y a accueilli le monde de l’art à bras ouverts et agi sur d’autres terrains. Il est allé très vite, et tout le monde attendait quelque chose de lui. Il a agi immédiatement, alors qu’il était en pleine formation », rappelle l’artiste Mathieu Mercier. 

Loin de la culture du secret
Outre « Antidote », la société a soutenu de nombreuses initiatives. Elle a ainsi donné 300 000 euros pour les expositions de Mathieu Mercier et Didier Marcel au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et 200 000 euros pour l’intervention de Xavier Veilhan au château de Versailles. Voilà deux ans, les Galeries Lafayette sont aussi devenues le sponsor principal de la FIAC, tout en devenant partenaire du « Nouveau festival » de Beaubourg et, plus récemment, du Centre Pompidou mobile. Houzé ne risque-t-il pas de devenir une vache à lait à un moment où le mécénat bat de l’aile ? « Nous sommes beaucoup sollicités, admet-il. Nous avons fait preuve de constance en ne baissant pas les bras. » À chaque exposition « Antidote », Guillaume Houzé a acheté l’ensemble des œuvres présentées, tout en collectionnant par ailleurs Ryan Gander, Gedi Siboni ou Peter Coffin. « Je voulais montrer qu’on pouvait assumer l’idée d’acquérir des œuvres et de les montrer en France où il y a une culture du secret », indique-t-il. En six ans, il a constitué, avec sa grand-mère, un ensemble de 250 œuvres. « C’est lui qui choisit, je suis dépassée par ses goûts, mais je le suis parce qu’il faut aller de l’avant, indique cette dernière. Je lui fais confiance, mais cela ne veut pas dire que j’approuve tous ses choix. » Houzé s’est d’abord montré à la fois appliqué et dépendant, en s’appuyant sur le regard du galeriste parisien Philippe Valentin qui l’a beaucoup orienté à ses débuts. « Il s’est certes fait conseiller, mais il n’a jamais douté de ce qu’il pouvait aimer, souligne l’artiste Tatiana Trouvé. Il n’a pas eu la volonté d’amasser un capital, mais d’ouvrir un chemin qui lui semblait essentiel. La plupart des œuvres qu’il a achetées ne feront pas une plus-value monstrueuse dans dix ans. Il ne cherche pas des pièces pour vivre avec ou pour montrer du prestige. » S’il a pu s’emballer pour des œuvres à une heure du matin puis se rétracter une fois dégrisé, il s’est peu à peu affiné et articulé. Sans forcément copiner avec les artistes, il se montre appliqué dès qu’il s’engage dans un projet. « Il était très présent lors de la dernière semaine d’accrochage, il venait pendant une heure, posait des questions de manière discrète, sans interventionnisme. Nous avons eu des rapports cordiaux et attentifs », observe Didier Marcel. « On pense toujours avoir en face de soi quelqu’un de distrait et naïf, on baisse la garde, on pense qu’il n’est pas présent, mais c’est une protection, constate Tatiana Trouvé. C’est comme lorsque, au début, il se présentait entouré. Cela lui a permis de ne pas être pris d’assaut, de garder sa liberté. » Alors que les premières éditions d’« Antidote » ne concernaient que la scène française, elles empruntent aujourd’hui un virage plus international. Le dernier cru ne comptait ainsi qu’un seul artiste français. « C’est une façon de dire : j’achète des Français et leurs équivalents internationaux sont notamment Victor Man ou Markus Schinwald. C’est de cette manière que les étrangers regarderont avec plus d’attention les Français qu’il achète », remarque Philippe Valentin. Car Houzé sait que, désormais, il faut se nourrir des expériences étrangères, un lien que la France n’a jamais vraiment su faire fructifier. 

Homme providentiel
Ce mot d’ordre animera aussi sa future fondation qu’il entrevoit à la fois comme un laboratoire, un lieu de production et de monstration, nouant des partenariats avec d’autres structures en Europe. Houzé réfléchit aussi à la manière d’apporter, à cette nouvelle structure, l’ensemble d’œuvres constitué ces six dernières années, une collection qu’il désire aliénable. « Je ne souhaite pas faire une énième fondation d’art contemporain, mais mettre en avant de façon singulière et pointue les liens entre l’art, la mode et le design », explique-t-il. Une triangulaire déjà effective à la Galerie des galeries avec les expositions de la collection de design de Clémence et Didier Krzentowski, ou la carte blanche donnée à Olivier Saillard, directeur du Musée Galliera, à Paris, avec « Au-delà du vêtement ». Malgré son jeune âge, certains voient déjà Houzé en homme providentiel. « Guillaume est un rassembleur, estime Jennifer Flay, directrice de la FIAC. Il est porteur de renouveau et d’espoir. C’est une vraie chance pour la France et un exemple pour ceux qui voudraient se lancer. » Le comparer à Bernard Arnault ou François Pinault serait toutefois très anticipé. « Arnault et Pinault gèrent leur propre argent, rappelle Philippe Valentin. On ne pourra comparer Guillaume que dans trente ans. J’espère qu’il aura le même effet que Saatchi, mais en mieux. »

GUILLAUME HOUZÉ

1981 Naissance à Paris.

2005 Lancement des expositions « Antidote ».

2008 Rejoint les Galeries Lafayette au département marketing.

2010 Mise en place de la future fondation des Galeries Lafayette.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : Guillaume Houzé, collectionneur

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