Paroles d’artiste

Gavin Turk

« Cette figure est une attraction de bord de mer »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 723 mots

Une sculpture de l’artiste déguisé en Sid Vicious, un autoportrait en Che Guevara ou en Elvis Presley... : Gavin Turk (né en Grande-Bretagne en 1967) se joue de son image, de la célébrité, des miroirs aux alouettes, et du réel en général. Souvent en trompe l’œil et toujours avec un humour bien britannique. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son exposition personnelle intitulée « Ha ha ha ! » à la Galerie Almine Rech, à Paris.

 Votre exposition à Paris commence dans un grand éclat de rire. Y aurait-il une blague cachée ?
S’il y en a une, je ne m’en souviens pas. Mais d’une certaine façon, la plaisanterie est dans la manière humoristique de regarder l’art, dans la difficulté de présenter des objets dans une galerie. Que faire avec et comment les regarder ? Ils figurent sur un terrain de jeu ouvert, avec une forme de langage visuel, sans être pour autant assignés à une définition. L’éclat de rire est au langage parlé ce qu’est la signature au langage écrit. C’est un son avec ses attributs visuels. Cet éclat de rire, c’est le mien.

Un parcours organise-t-il l’exposition ?
Tous ces objets sont exactement tels que ceux que vous devriez avoir laissés chez vous avant de venir à la galerie. C’est de la marchandise d’occasion, du moins ça en a l’air. Car en fait, tout a été fabriqué soit dans mon atelier, soit dans une fonderie. Il s’agit d’images 3D de choses usuelles plutôt que des choses elles-mêmes. Le parcours prend une forme d’enquête culturelle. Les objets apparaissent comme des symboles narratifs témoignant de l’histoire, de la religion, de la géographie. Ce travail tourne autour d’une préoccupation toute anglaise qui est la gêne. La gêne que me procurent mes acquis culturels, ma culture personnelle et ma culture en tant qu’artiste, comme la gêne provoquée par les moyens de production.

Qui est ce marin qui éclate de rire quand on pousse le bouton relié à sa boîte de verre ?
Il s’agit d’une attraction de bord de mer. C’est Jolly Jack Tar. C’est Gentleman Jim. Ou un proche parent de M. Kurtz dans Heart of Darkness [Cœur des ténèbres], de Joseph Conrad. C’est aussi un personnage inspiré du Pendule de Foucault, d’Umberto Eco.

Quel lien existe-t-il entre cette sculpture et les portraits où votre visage se mêle à celui de personnalités comme Sid Vicious ou le Che ?
Ils ont un visage et une pose similaires ; ce sont presque des figures de cabinets, car ils sont muséographiques. Ma première figure pop (Sid Vicious) a été réalisée au moment où les préoccupations punk sont passées au rang muséal, quand les punks ont commencé à être  culturellement étudiés au lieu de choquer par leur marginalité. Je l’ai alors piégé dans une boîte de verre comme le « Salty Sea Dog » [le vieux loup de mer] de cette exposition.

Célébrité, glamour et gloire sont des thèmes qui traversent souvent votre travail… Est-ce important d’être sous les feux de la rampe ?
Bien sûr que c’est important d’avoir une visibilité pour faire exister son travail, mais les thèmes que vous évoquez sont seulement les sujets de mon travail. Dans mes pièces, les personnages n’ont jamais l’air de ce qu’ils sont. D’épaisses couches de maquillage et des tonnes d’ambiguïté troublent notre perception de ces personnages souvent infâmes.

L’art est-il pour vous un divertissement ?
Parfois je le trouve divertissant, mais pour moi c’est surtout une philosophie visuelle.

Quel intérêt nourrissez-vous pour le trompe-l’œil ?
Le trompe-l’œil rend les choses difficiles à voir, mais il nécessite une vision plus exigeante. Les gens regardent mieux quand ils réalisent qu’ils ont été visuellement piégés. En réalisant des objets en bronze peint, je donne une permanence et une valeur à des choses fugaces comme des trognons de pomme. Ces pièces se réfèrent aussi aux sculptures peintes de Jasper Johns. Un énorme cliché de l’art contemporain comme les sérigraphies de Warhol permet de créer un cadre à travers lequel on peut voir le travail.

GAVIN TURK, « Ha ha ha ! »

jusqu’au 23 décembre, Galerie Almine Rech, 127, rue du Chevaleret, 75013 Paris, tél. 01 45 83 71 90, du mardi au samedi 11h-19h. Gavin Turk participe aussi à l’exposition collective « Et maintenant – What now », jusqu’au 19 février, CRAC Alsace, 18, rue du Château, 68130 Altkirch, tél. 03 89 08 82 59.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Gavin Turk

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