Installation

Éloge de l’imperfection

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2012 - 675 mots

MONTBÉLIARD [16.03.12] - Entre fragilité poétique et danger latent, Ariel Schlesinger compose à Montbéliard un accrochage où le presque rien devient très humain.PAR FRÉDÉRIC BONNET

C’est une exposition où sans jamais être visible le corps est partout présent, qu’il soit physique, politique ou social. Adepte de la construction de machines et mécanismes plus proches du bric-à-brac que de l’ingénierie de pointe, Ariel Schlesinger, jeune artiste israélien établi à Berlin, déploie en seulement quelques œuvres réparties dans les salles du Musée du château des ducs de Wurtemberg, à Montbéliard (Doubs), une vision sensible du monde pensée à mille lieux du culte si commun de la performance. Patiemment, péniblement parfois, les constructions fragiles de cette sorte de Géo Trouvetou s’animent de mouvements aux finalités incongrues. Toujours quelque chose apparaît être en train de se faire, en dehors de toute forme de logique ou de rationalité.

En bonne place dès l’entrée trône sa Bubble Machine (2006), indéfinissable mais néanmoins complexe bricolage où un bras mécanique va chercher du savon que du gaz gonflera en une bulle qui, une fois relâchée, ira s’échouer sur une grille à haute tension avant de prendre feu ! Un danger latent mais non définissable en tant que tel existe, comme avec ce vélo posé contre un mur et d’un pneu duquel s’échappe une courte flamme (Low Potential Disturbance, 2008). La catastrophe est possible, envisageable, pourtant nulle angoisse ne sourd de ce travail. Avec ces installations, tout se passe plutôt comme si l’artiste était désireux d’installer une veille, une mise en garde mais sans renchérissement verbal, en usant plus volontiers du mode burlesque que de la vocifération anxiogène.

Une poésie du rien semble se mettre en branle à travers la fragilité de ses mécanismes d’une grande précision technique, même si celle-ci n’est pas rendue visible. Comme dans une série de travaux prenant la feuille de papier classique, de format A4, comme principal acteur de curieux mouvements. Ainsi L’Angoisse de la page blanche (2007) voit-elle deux feuilles se déplacer grâce à une discrète motorisation qui leur fait engager un curieux ballet trouvant son point d’acmé dans une quasi étreinte. Ou encore cette autre page, qui se déplace sur une planche jusqu’à parvenir à se relever toute seule (Untitled, 2011). Les mouvements des unes et des autres sont lents, poussifs, difficiles, irréguliers, un peu capricieux parfois. Un aspect très humain émerge de l’irrégularité, de la difficulté de ces modèles imparfaits. S’engage alors comme une écriture du quotidien à travers le prisme de l’à-côté.

Instabilité
Dans toutes ces constructions, quelque chose est en train de se jouer sans qu’il soit possible de déterminer précisément quoi. C’est là que Schlesinger se montre parfaitement juste et pertinent dans le regard à contre-courant qu’il porte sur le monde, lorsque, a contrario de l’efficacité dite nécessaire, il propose l’acte décalé, lorsqu’à l’impérieuse perfection il oppose une résistance au culte du paraître et des apparences.

L’instabilité toujours en jeu n’est finalement rien de moins que celle du quotidien dans ses acceptions les plus amples. En fin de parcours est donnée à voir une petite table parsemée de stylos et de crayons. L’un deux se consume patiemment : il s’agit d’un bâtonnet d’encens auquel l’artiste a donné la forme d’un instrument d’écriture. Pour la première fois dans son œuvre, l’évocation du politique devient explicite grâce à un titre aux implications on ne peut plus claires : « Je crois à une solution à deux états » (I believe in a two states solution, 2011). En référence directe au conflit israélo-palestinien, l’artiste manie la métaphore visuelle d’un discours et d’une situation qui se consument alors que jamais ne leur est opposée la nécessité d’une prise de décision capable d’éviter la déliquescence consécutive à l’inaction : un travail terriblement attachant car terriblement humain en effet !

ARIEL SCHLESINGER. PHENOMENA OF RESONANCE

Commissaire : Aurélie Voltz, directrice des musées de Montbéliard
Nombre d’œuvres : 8

Jusqu’au 1er avril, Musée du château des ducs de Wurtenberg, Cour du château, 25200 Montbéliard, tél. 03 81 99 22 61, www.montbeliard.fr, tlj sauf mardi 10h-12h, 14h-18h. Catalogue coéd. Musées de Montbéliard/Kunstverein Braunschweig, 80 p., 10 €, ISBN 978-3-929270-78-5.

Légende photo :

Ariel Schlesinger, Bubble Machine, 2006, gaz, bulle de savon, escabeau, perceuse électrique, tabouret en bois, transformateur électrique haute tension, 230 x 200 x 210 cm, collection particulière, Ljubjana. © Photo : Denis Bretey - Ville de Montbéliard

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Éloge de l’imperfection

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