New Age

Du spirituel dans l’art

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2009 - 680 mots

Vidya Gastaldon présente au centre d’art du Domaine de Kerguéhennec, en Bretagne, un travail qui puise sans hiérarchie à des sources érudites ou populaires

BIGNAN (MORBIHAN) - Alors que les bois se réveillent d’un long hiver breton, les sentiers verdoyants du parc de sculptures de Kerguéhennec mènent à un sas régénérant, une quatrième dimension colorée et douillette : l’univers de Vidya Gastaldon, qui a pris possession des anciennes écuries. À 35 ans, l’artiste française associée à la jeune génération genevoise développe un langage plastique qui a déjà séduit le monde de l’art du Japon aux États-Unis. Elle expose ici ses aquarelles et ses sculptures de laine comme on décore un temple. Telle une fresque édifiante, ses dessins décrivent un monde merveilleux aux formes molles et aux couleurs pastel perturbé par l’irruption d’informes créatures noires et poilues, surgies du centre de la Terre. De nébuleuses roses en explosions atomiques, ils relatent la lutte du bien et du mal en rejouant la création du cosmos. Réécriture de l’Histoire ou anticipation d’un univers post-nucléaire, le motif s’inspire des récits bibliques autant que des mythologies orientales ou des dessins animés japonais. Un syncrétisme à gros bouillons revendiqué par l’artiste et qui donne vie à un paysage mouvant où les collines ont des yeux et les grottes, des dents. Ce décor met en scène des figures christiques, des apparitions de divinités bouddhiques ou encore ce Saint extra-terrestre auréolé, pointant son doigt vert en direction des cieux enflammés. Hallucinations palpables, les panoramas psychédéliques de Vidya Gastaldon sont des paysages méditatifs. Leur rassurante étrangeté autorise une douce évasion jusque sur les territoires refoulés de la conscience ; ceux d’une enfance oubliée ? Sur le mur voisin, cette passion du mythe introspectif revisite naturellement la tradition des Tentation de saint Antoine, avec une suite réalisée pour l’exposition.

« L’humour est amour »
Converties à cette mythologie, les sculptures de laines colorées suspendues ou disposées au sol nous semblent participer du même cérémonial. La famille des Tétraèdres (Obscure, Divin, Aspirant…) en fil de fer habillé de laine rendrait hommage au motif du triangle, récurrent dans les dessins. Richement connotée, la forme géométrique ainsi déclinée en différents formats et en couleurs épuise sa symbolique : trinité, grotte, pubis, sigle écologique, prisme triangulaire de l’album mythique des Pink Floyd, Dark Side of the Moon… Aussi les tétraèdres convoquent-ils dans l’espace d’exposition la référence obligée au minimalisme, ici réchauffé par de petits tricots et des titres farceurs. Non sans référence à l’art contemporain (Walter de Maria, Mike Kelley), cette improbable rencontre de l’abstraction géométrique et du macramé indique un rapport particulier aux héritages, en puisant sans hiérarchie à des sources érudites ou populaires. Sur un petit pan de mur, la pratique de l’appropriation s’illustre dans une suite de peintures et collages exécutés sur les pages d’un ouvrage d’histoire de l’art. L’artiste y a tantôt sublimé à l’aide de papier marouflé, gribouillé, annoté, tantôt décoré de petits cœurs adolescents les scènes de la vie du Christ, dans un geste irrévérencieux mais dénué d’ironie. « Pour moi, l’humour est amour », confie-t-elle. Cet extrait « plus léger » de son travail traduit clairement sa relation aux œuvres du passé : « saine », familière, sans complexe, laissant le champ libre à une expression libératrice. Dépassant une posture postmoderne, l’appropriation des formes par Vidya Gastaldon livre ainsi les matériaux disponibles à la fabrication d’un monde tout personnel. Plus encore, en purgeant les signes de leur valeur symbolique comme elle le fait pour le triangle, elle les rend à nouveau disponibles, réutilisables, comme la méditation orientale le permettrait à son propre corps. Il y a en effet une dimension philosophique dans l’œuvre de Vidya Gastaldon, pour qui les heures passées à dessiner relèvent d’une nécessité vitale. Expérience cathartique, l’œuvre administre ses bienfaits au public, invité à son tour à rechercher sa propre émancipation dans cette atmosphère mystique et chaleureuse. Sans surprise, les cours de Vidya (en sanskrit, « qui se dirige vers la lumière ») dispensés aux Beaux-Arts de Paris ont recueilli autant de succès auprès des étudiants quand ils ont débouché sur une séance de yoga.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°303 du 16 mai 2009, avec le titre suivant : Du spirituel dans l’art

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