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Doha inaugure son musée d’art moderne

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2011 - 810 mots

Le Mathaf, nouveau musée arabe d’art moderne du Qatar, propose une histoire de la modernité dans les pays arabes et des commandes d’art contemporain.

DOHA (QATAR) - Alors que l’émirat d’Abou Dhabi s’est contenté d’acheter des marques étrangères – Louvre et Guggenheim – pour nourrir sa mégalomanie, son voisin qatari a constitué lui-même ses collections avant d’engager des chantiers muséaux. Plutôt que de jouer sur la démesure, il a misé avant tout sur l’éducation. La pédagogie et un certain devoir patrimonial sont au cœur du projet du Mathaf, premier musée arabe d’art moderne de la région inauguré officiellement à Doha le 14 décembre, et ouvert au public depuis le 30 décembre. « Je veux un musée pour aider à la recherche sur l’art de cette région. Ce musée est nécessaire pour garder les choses en sécurité, car nous sommes dans une région en mouvement, où il y a des guerres. Regardez ce qui s’est passé avec le musée du Koweït ou avec l’Irak. Nous avons ici, à Doha, les seules traces de l’art moderne irakien », confie le cheikh Hassan Bin Mohammed Bin Ali Al-Thani, qui a constitué une collection de 6 000 œuvres en vingt-cinq ans.

Installé dans une ancienne école réaménagée par l’architecte français Jean-François Bodin, le musée est certes imparfait avec ses salles trop petites et ses plafonds bas. Mais il a le mérite de refuser toute ostentation, expression pourtant générique de la région. La signalétique très sympathique conforte l’aspect peu intimidant de l’institution. Les limites de la construction ne posent pas tant problème que le manque de clarté de l’exposition inaugurale « Sajjil, un siècle d’art moderne », organisée par l’historienne Nada Shabout. Au lieu de suivre un découpage chronologique éclairant les visiteurs sur l’histoire de la modernité dans les pays arabes, la curatrice a segmenté les salles selon des thèmes simplistes comme la famille, la nature ou le portrait. À défaut d’une histoire linéaire, on aurait apprécié des focus sur certains foyers très féconds à l’image du Caire ou Bagdad. « Nous n’avons pas voulu proposer des développements nationaux, mais accentuer ce que ces mouvements ont en commun pour ne pas entrer dans un duel art égyptien contre art irakien », réplique Nada Shabout. Reste qu’on ne retient pas grand-chose de cet accrochage en vrac, si ce n’est l’influence patente de l’école de Paris sur ces peintres. « Il ne faut pas chercher dans la modernité des pays arabes quelque chose de spécifiquement arabe, poursuit Nada Shabout. Attendre quelque chose de différent ou d’exotique implique un regard orientaliste. » Tout cela ne justifie pas le manque de tri et d’homogénéité de l’ensemble. L’exposition multiplie ainsi les juxtapositions entre artistes majeurs, tel l’Égyptien Abdel Hady El-Gazzar, et des peintres plus folkloriques. 

Promenade sensible et poétique
Si « Sajjil » laisse perplexe, l’exposition « Told/Untold/Retold » de vingt-trois commandes passées par le Qatar à des artistes contemporains arabes brille par son exigence. Et son audace aussi, car l’acte de la commande – sans achat systématique – n’est pas inscrit dans les pratiques des pays arabes, hormis dans le contexte des biennales. En jouant sur les changements d’échelle, par une alternance habile d’espaces de tailles différentes, ouverts et fermés, lumineux ou anxiogènes, la promenade conçue par les curateurs Sam Bardaouil et Till Fellrath au Musée d’art islamique est à la fois sensible et poétique. Surtout, ces derniers ont su éviter les travers propres à ce type d’exercice. Ils n’ont ainsi pas inséré par courtisanerie des artistes de Doha ou du Golfe. Ils n’ont pas non plus tenté de formuler une pseudo-identité arabe. L’exposition souligne à quel point la notion même de monde arabe est une fiction, impossible à synthétiser dans un panarabisme esthétique.

Nomades ou exilés, d’origine parfois mixte, les créateurs savent déjouer les stéréotypes. Malgré une certaine esthétisation outrancière, le film You Never Left de Youssef Nabil offre une bonne allégorie de la mue des artistes arabes, conduits à quitter leurs chrysalides nationales pour parcourir le monde. Sans être prisonniers de leurs racines, ils jouent subtilement sur l’archive et la mémoire à l’instar de Lamia Joreige, Walid Raad, Akram Zaatari ou Hassan Khan. Au lieu d’user de grosses ficelles, ils évoquent le politique en pointillé, comme Adel Abidin dans son film Three Love Songs. Dans cette projection sur trois écrans, les hymnes à Saddam Hussein perdent de leur substance dans la bouche de lascives chanteuses de cabaret. Même l’unique touche religieuse du parcours, par Younès Rahmoun, relève davantage de la transcendance mystique que de la ferveur confessionnelle. Véritable première au Moyen-Orient, « Told/Untold/Retold » place désormais la barre haute pour toutes les initiatives à venir. 

Sajjil, un siècle d’art moderne, exposition inaugurale, Mathaf – Musée arabe d’art moderne, Education City, Doha, Qatar, www.mathaf.org.qa, tlj sauf lundi 11h-18h, vendredi 15h-21h

TOLD/UNTOLD/RETOLD, jusqu’au 28 mai, Musée d’art islamique, Exhibition Hall, Doha, Qatar, www.mia.org.qa, tlj sauf lundi 10h30-17h30, vendredi 14h-20h

SAJJIL
Commissariat : Nada Shabout

TOLD/UNTOLD/RETOLD
Commissariat : Sam Bardaouil et Till Fellrath
Nombre d’artistes : 23

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°338 du 7 janvier 2011, avec le titre suivant : Doha inaugure son musée d’art moderne

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