Patrimoine

Des vacances au… XXe siècle

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 6 juillet 2020 - 1670 mots

Moins connu, peut-être moins plébiscité aussi, le patrimoine du XXe siècle représente pourtant, du Havre à la station de Flaine en passant par La Grande-Motte, l’occasion de redécouvrir des monuments souvent remarquables.

Le patrimoine du XXe siècle, en France, est légion, divers et splendide. Une fois n’est pas coutume, sa découverte rime, cette année, avec… santé publique. Né à l’orée des années 1900 justement, le mouvement hygiéniste architectural en avait rêvé, la pandémie due à la Covid-19 en a fait un enjeu primordial. Chaque visite nécessitera de jongler avec les contraintes sanitaires en vigueur, conditions non gravées dans le marbre et susceptibles d’évoluer à tout moment. Ainsi, à Croix, dans le Nord, le tête-à-tête avec la Villa Cavrois se fera masqué et sur réservation. « Nous avons abaissé la jauge de visite afin de respecter la distanciation physique et conçu un nouveau circuit à sens unique, explique Carine Guimbard, administratrice de ce lieu dépendant du Centre des monuments nationaux (CMN). Bref, un accompagnement doux de manière à ce que le visiteur se sente en sécurité. »

Le patrimoine religieux du XXe

Joyau moderniste construit au début des années 1930 par Robert Mallet-Stevens pour l’industriel du textile Paul Cavrois, la vaste demeure est habillée de briques ocre. Longue façade introvertie au nord, l’entrée, volumes découpés et balcons au sud, le jardin à la française, avec son miroir d’eau et ses buis taillés : la silhouette de l’édifice illustre les préceptes du Mouvement moderne et emprunte au style paquebot (garde-corps bastingages, terrasses-ponts de bateau et tourelle façon hune). À l’intérieur, Mallet-Stevens met en scène la vie quotidienne et mondaine de cette famille bourgeoise, tel le Grand Salon, espace de réception de double hauteur agrémenté d’un étonnant coin feu en marbre jaune de Sienne. « Nous avons tout fait pour que les gens qui ont été confinés pendant des semaines profitent de la poésie de cette architecture sans trop de gêne, souligne Carine Guimbard. Que leur regard puisse s’abandonner par-delà le masque. » On croise les doigts, impérativement imbibés de gel hydroalcoolique.

Tel un phare dans la ville, pour les citadins comme pour les navigateurs, l’église Saint-Joseph, au Havre, est l’œuvre-maîtresse de la reconstruction du centre-ville opérée sous la houlette d’Auguste Perret au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Elle se compose d’une structure pyramidale en béton armé s’élevant à 35 m de hauteur, elle-même coiffée d’un clocher droit comme un cierge qui culmine à 110 m. Si l’intérieur, volontairement laissé brut, exclut toute peinture, les vitraux, a contrario, apportent un éclairage exceptionnel grâce à une palette de 50 nuances. Foncés à la base et translucides au sommet, ils accentuent le sentiment d’une lumière « divine ».

Autre flèche de béton plantée face à la grande bleue, l’église Notre-Dame de Royan, en Charente-Maritime, a, elle, été érigée en 1958 par Guillaume Gillet et Marc Hébrard, avec la complicité des ingénieurs Bernard Laffaille et René Sarger. « Classée dès 1988, l’église Notre-Dame a fait l’objet d’une dernière restauration en 2018, en particulier pour l’ensemble d’entrée, indique Charlotte de Charette, responsable du service du patrimoine à la ville de Royan. On peut désormais admirer les portes occidentales, les bas-côtés ainsi qu’une série de nouveaux vitraux. » D’une pierre deux coups, le visiteur ne pourra faire l’impasse sur le marché couvert, une prouesse. Sa spectaculaire couverture, une sinusoïde parabolique – on dit aussi, plus trivialement, « en côtes de melon » –, prend appui en treize points sans qu’aucun pilier intérieur ne vienne entraver la perspective. Un délice !

Curiosités modernistes

S’il est un matériau que les architectes subliment à l’envi durant tout le XXe siècle, c’est bien le béton. Auteur du célèbre Whitney Museum de Madison Avenue, à New York, Marcel Breuer débarque, dans les années 1960, à Arâches-la-Frasse, petite commune de Haute-Savoie. Avec une approche plutôt « soft » du style brutaliste, privilégiant la courbe à l’angle droit, il perche une station de ski à 1 800 m d’altitude : Flaine. Ses immeubles, tel le Bételgeuse, usent de modules en béton préfabriqués et certaines parties en porte-à-faux feront la réputation de son esthétique, dont l’hôtel Le Flaine, un défi au vide que les randonneurs peuvent observer encore mieux en été.

De la montagne à la mer, le béton ne cesse de détonner, sinon d’étonner. La ligne droite virtuelle qui relie Chamonix à Quimper passe… par Nevers, en plein cœur de l’Hexagone. Dans cette localité s’élève un monolithe recroquevillé sur lui-même tel un bernard-l’ermite : l’église Sainte-Bernadette du Banlay, chef-d’œuvre bicéphale conçu en 1966 par l’architecte et génial dessinateur Claude Parent et son alter ego philosophe et urbaniste Paul Virilio, pères du concept de « fonction oblique ». À l’intérieur, sols et plafonds jouent avec les inclinaisons, afin de renforcer la dynamique spatiale.

À l’autre extrémité de cette ligne fictive, en Bretagne donc, non loin de Fouesnant, s’est érigé, quasiment à la même époque (1968), l’un des premiers villages vacances dédié au tourisme social : Beg-Meil, une curiosité à la silhouette toute en rondeurs. Un procédé alors novateur – du béton projeté directement sur une armature de métal – a permis à ses auteurs, l’architecte Henri Mouette et le sculpteur Pierre Székely, d’inventer des formes amusantes et immaculées telles des igloos géants. L’ensemble, racheté par la chaîne Villages Clubs du Soleil, a fait l’objet d’une restauration en 2018 : « Une enveloppe de trois millions d’euros nous a permis de reprendre tous les intérieurs avec, notamment, la mise aux normes actuelles de l’ensemble des chambres, précise Amélie Gelot, directrice du site, si bien que nous disposons aujourd’hui de 160 logements, soit 550 lits. » La destination reste pour le moins atypique : « Il y a principalement deux types de résidents, estime Amélie Gelot, ceux qui viennent pour l’architecture et ceux qui la découvrent in situ, d’abord intrigués, puis, la magie opérant, enchantés à l’idée de vivre un séjour insolite. »

Autre expérience balnéaire surprenante, cette fois sur la Méditerranée et à l’échelle d’une ville : La Grande-Motte, cité qui, lors du week-end « déconfiné » de l’Ascension, s’enorgueillit d’avoir offert la seule plage française « statique », celle du Couchant, alors que ses consœurs ne se pratiquaient qu’en « dynamique ». Édifiée à partir de la fin des années 1960 sur une lande de sable et de marécages et jadis éreintée par la critique, car synonyme de « côte bétonnée », cette station de l’Hérault a, depuis sa labellisation comme Patrimoine du XXe siècle il y a une décennie, repris du poil de la bête. Outre l’ensoleillement, le grand œuvre de l’architecte en chef Jean Balladur exhibe aujourd’hui l’originalité de ses lignes. L’édifice-vedette, « la grande pyramide », reprend, paraît-il, le contour inverse de celui du pic Saint-Loup, contrefort des Cévennes que l’on peut distinguer en arrière-plan. Ailleurs, les volumes aux façades s’inclinant à 60°, histoire de créer une ribambelle de balcons, arborent divers gabarits : bonnet d’évêque, joyeusement symétrique, ou, plus évasée, conque de Vénus, tels les bâtiments Les Dunes et Les Belles Plages du quartier du Couchant justement.

À visiter plus tard…

Cet été, tout le patrimoine siglé XXe siècle ne sera malheureusement pas logé à la même enseigne. Ainsi en est-il de la demeure métallique et minimaliste bâtie, en 1954, sur les hauteurs de Nancy par Jean Prouvé, structure légère d’un seul niveau arborant toute son ingéniosité constructive et acquise par la Ville en 1990. « La maison de Jean Prouvé accueille, en effet, des locataires, ce qui complique la mise en œuvre des règles sanitaires, explique Susana Gállego Cuesta, directrice du Musée des beaux-arts de Nancy, lequel est en charge des visites. Habituellement visitable chaque samedi du premier week-end de juin au dernier de septembre, nous sommes, cette année, contraints de n’ouvrir qu’au mois de septembre. » Pis, l’ensemble Cap Moderne, à Roquebrune-Cap-Martin, dans les Alpes-Maritimes, restera quant à lui clos jusqu’à la fin de l’année. Ce site comprend notamment le fameux Cabanon de Le Corbusier et la non moins mythique Villa E-1027 d’Eileen Gray. Le premier, espace « confiné » par excellence de 3,66 x 3,66 m, est une cahute judicieusement aménagée faite de dosses en croûtes de pin maritime que l’architecte réalisa en 1952, et dans laquelle il aimait à se retirer pour un « confinement » somme toute relatif, tant le panorama sur la mer y est de toute beauté. « La seconde, bijou moderniste datant de 1929, fait actuellement l’objet d’une ultime phase de rénovation d’un montant de cinq millions d’euros, souligne Antide Viand, administrateur du lieu. Or celle-ci a été retardée par le confinement, repoussant la date d’achèvement des travaux de juin à septembre. » Comble de malchance, le sentier qui permet d’atteindre le site depuis la gare s’est effondré fin 2019 et ne sera rénové qu’en novembre. Bref, une série de déconvenues qui ont incité le CMN – lequel prendra, en octobre, les rênes de l’intégralité de Cap Moderne à la place du Conservatoire du littoral– à repousser l’ouverture complète du lieu en 2021. Néanmoins, confinement du Cabanon oblige, la jauge est basse : mieux vaut donc réserver en amont !

Toujours sur la côte, à une heure de route, les visites de l’intrigant «Palais Bulles» Bernard, à Théoule-sur-Mer, reprendront elles aussi en septembre, après l’interruption estivale due à l’occupation du lieu par les descendants. À l’instar de Beg-Meil, l’ouvrage habillé d’un rouge pompéien est en béton projeté sur grillage. Posé sur les hauteurs de l’Esterel, cet ovni, né en 1975 de la rencontre entre « l’architecte habitologue » Antti Lovag et l’industriel mécène Pierre Bernard célèbre l’esprit non conformiste du tandem.

Pour patienter jusqu’à cette date, autant filer à Saint-Tropez, à quelques encablures plus au sud, pour s’émerveiller devant un ultime morceau de choix : le Latitude 43, ancien hôtel Art déco construit en 1932 par Georges-Henri Pingusson et aujourd’hui résidence privée. Surnommé à l’époque le « paquebot », ce bâtiment de 100 m de longueur arbore, à l’instar du Normandie lancé la même année, tous les atours du célèbre trans-atlantique : coursives, hublots et penthouse façon cabine de pilotage. Depuis son inscription, en 1992, à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, explorer ses parties communes est permis. Ancré sur une colline à l’entrée ouest de la ville, le majestueux vaisseau à la coque immaculée, jadis ocre, n’attend plus que de jeter les amarres.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°735 du 1 juillet 2020, avec le titre suivant : Des vacances au… XXe siècle

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