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L'Actualité vue par

Daniel Birnbaum, directeur de la Biennale de Venise 2009

« L’art a d’autres temporalités que la pop music »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2009 - 1525 mots

Né à Stockholm en 1963, Daniel Birnbaum est le directeur pour les arts visuels de la prochaine Biennale de Venise, qui ouvrira ses portes le 7 juin. Il est depuis 2001 recteur de l’école d’art Städelschule à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Philosophe et critique d’art, il a été l’un des commissaires de l’exposition « Airs de Paris » au Centre Pompidou en 2007. Daniel Birnbaum commente l’actualité.

Pourquoi avez-vous choisi le titre « Construire des mondes » pour la prochaine édition de la Biennale de Venise ?
Cela vient de l’idée de faire, de produire des choses, de voir la Biennale de Venise comme un lieu de promotion de nouvelles productions. Le sens est différent suivant les langues. « Construire le monde » a un sens technique, architectural. « Making Worlds », en anglais, a un côté artisanal. Il s’agit de placer l’exposition du côté où les choses peuvent être faites. La Biennale n’est pas un musée, et ces derniers peuvent beaucoup mieux présenter de très beaux chefs-d’œuvre. Le titre d’une grande exposition comme celle-là doit toujours pouvoir être utilisé comme point de départ pour le plus grand nombre de pavillons nationaux. Il doit donc être généreux. Dans l’histoire de la biennale, il y a eu beaucoup de titres comme « Dreams and Conflicts, viewer dictatorship ». Mais j’aime « Construire des mondes » parce qu’un philosophe américain, Nelson Goodman, a écrit un livre qui s’intitule Ways of Worldmaking (1). Il a été un point de départ pour ma réflexion parce que nous voulions être plus généreux. La traduction que nous avons choisie pour chaque langue laisse passer une certaine ambiguïté avec un titre qui peut être très technique, ou plus téléologique. Cela reflète mon idée de ce que Venise pourrait être, c’est-à-dire un lieu pas facile mais très beau où l’on peut faire des choses spéciales. La Biennale de Venise a été conçue par le passé de manière très différente. En 2007, elle était très classique avec l’Arsenal transformé en couloir blanc, à la manière d’un espace institutionnel. Nous ne ferons rien de ce genre cette année. Nous n’avons pas de scénographe qui unifiera l’ensemble. Chaque artiste disposera de son propre espace. Nous verrons si cela marche. C’est très difficile. Nous n’allons pas nous étendre même si nous bénéficions d’un nouveau site, le cloître des Vierges, un lieu incroyablement romantique.

La Biennale 2007 portait un regard sombre sur le monde. Qu’en sera-t-il de la vôtre ?
Cette édition a été conçue au moment du plus important crash économique depuis des dizaines d’années. J’espère qu’il s’agit d’un point de départ pour des choses à venir. « Construire des mondes » est un titre incroyablement optimiste dans un sens. Il s’agit de nouveaux départs et non de fins.

Quels risques avez-vous pris ?
Je ne sais pas. Ce n’est pas comme si je montrais cinquante artistes totalement inconnus, parce que ce n’est pas ma conception de l’art que de devoir montrer tous les ans une équipe totalement renouvelée. Nous ne sommes pas dans la pop music où le turn over est très rapide. Je pense que l’art a d’autres temporalités et que des choses peuvent aussi réapparaître. Pourquoi l’art devrait-il être comme l’industrie pop ? Mais nous accueillerons aussi de jeunes artistes qui ne sont pas très connus. Ce sera un mélange.

Pourquoi avez-vous choisi de présenter des figures historiques ?
On me dira « pourquoi présentez-vous Fahlström ? ». Öyvind Fahlström est pour moi un artiste très sophistiqué et politique. Mais c’est aussi un artiste qui est toujours oublié. Il y en a d’autres qui ont une influence similaire sur les jeunes générations. Gordon Matta-Clark est si connu qu’il n’est pas nécessaire de le redécouvrir. Lygia Pape, du Brésil, est plus une présence légendaire. Nous ne pouvons pas lui faire de rétrospective, mais nous aurons l’une de ses œuvres, ainsi que Blinky Palermo. Je pense à ces artistes comme à des sources d’inspiration, je les regarde comme s’ils étaient proches.
Gordon Matta-Clark est un artiste différent après Rirkrit Tiravanija. Et Cézanne était un autre artiste après Picasso. L’histoire de l’art est un processus permanent. Certains chapitres sont clos, mais l’intéressant, pour ces artistes, c’est qu’ils peuvent faire l’objet de relectures et qu’ils apparaissent différemment dans de nouveaux contextes. Nous convions aussi dans l’exposition des architectes visionnaires comme Yona Friedman. Ce dernier a aussi bénéficié du travail d’artistes comme Olafur Eliasson.

Vous avez été l’un des commissaires de « Airs de Paris », présentée au Centre Pompidou, à Paris en 2007. Mais vous n’avez invité à Venise que très peu d’artistes alors présents dans cette exposition. Pourquoi ?
« Airs de Paris » montrait la création à Paris au sens large. La tâche était complexe parce qu’il s’agissait de célébrer l’institution mais aussi de montrer le dynamisme de la ville. Il fallait trouver un compromis pour beaucoup de choses. Il était question des liens avec Paris. À Venise seront présents Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foerster, mais aussi des artistes qui ne sont pas français tout en vivant à Paris, comme, historiquement, Fahlström, ou, aujourd’hui, Sara Ramo et Ulla von Brandenburg. Je pense que c’est compatible avec l’idée d’« Airs de Paris ». Cette expérience a été enrichissante parce qu’elle m’a permis de connaître des artistes comme Loris Gréaud.

Quels sont les pavillons nationaux que vous attendez avec impatience ?
Les gens disent souvent que c’est une idée dépassée que d’avoir des pavillons nationaux. Mais le monde globalisé consiste aussi en des pays autonomes. J’aime quand les limites sont repoussées pour créer un débat. Le commissariat du pavillon nordique est par exemple assuré cette année par des artistes. Ils organisent une grande exposition de groupe, et je suis curieux de voir le résultat. Sturtevant y est présente alors qu’elle n’a aucun lien avec cette partie du monde. Le pavillon allemand présentera Liam Gillick, une surprise parce qu’il n’est pas allemand. C’est un brillant regard sur les problèmes allemands et sur ce pavillon lui-même. Ce coin des Jardins avec Claude Lévêque [dans le pavillon français], Steve McQueen [dans le pavillon britannique] et Liam Gillick s’annonce passionnant. Je suis aussi curieux de voir à quoi ressemblera la proposition de Bruce Nauman [dans le pavillon américain], un projet ambitieux.

François Pinault va ouvrir la Pointe de la Douane. Cela va-t-il changer quelque chose pour Venise ?
Oui, c’est fantastique pour la ville. C’est peut-être la plus importante collection privée actuelle. Venise peut être satisfaite du fait que celle-ci soit déposée dans la lagune. Cela renforce l’ambition artistique de la ville. Beaucoup de choses ont lieu durant l’ouverture de la Biennale de Venise, et parmi tous les événements off, c’est sans conteste le plus important. Évidemment, il s’agit d’une collection et non de nouvelles productions.
Nous allons aussi voir cette année à Venise comment le milieu de l’art réagit à la chute du marché de l’art.

Vous avez mentionné plusieurs fois que l’art n’est pas un produit, que nous devrions être prudents avec le marché de l’art…
Si on est un musée qui achète de l’art, l’art est aussi un produit, mais la question est de savoir quel type de produit. Quand l’art est vivant, il n’est pas produit pour rentrer immédiatement dans une collection. S’il offre une nouvelle vision du monde, de soi-même, de notre vie, il n’est plus un luxe.

Pourtant, pendant des années, la Biennale a aussi été une plate-forme commerciale et elle est organisée à proximité, dans le temps, de la foire Art Basel.
La Biennale a des relations très étroites avec le marché, mais on ne peut pas dire que la Biennale elle-même a été une plate-forme commerciale. Cela n’a jamais été dans son intention de vendre. Je suis plus intéressé par le fait que l’art puisse avoir une autre fonction que celle de la possession. On m’a demandé si l’exposition allait être une réaction à la crise financière. Je ne peux pas dire que ce sera une réaction directe. Elle a été conçue à un moment où tous ces cataclysmes ont eu lieu. Nous souffrons du fait que les artistes ne pourront pas bénéficier de toute la logistique dont ils ont besoin. Mais tous ne sont pas non plus forcément dans l’objet unique. Yoko Ono a ainsi fait des pièces que l’on peut reproduire des centaines de fois. André Cadere était un genre d’artiste parasite, même si ses pièces sont aujourd’hui très précieuses. La volonté de posséder est inhérente à l’être humain. La volonté d’objectiver un processus est aussi toujours présente. Même Felix González-Torres, qui n’est pas dans l’exposition, était dans une générosité. Mais le marché de l’art a fait de ses pièces des produits. Si des artistes peuvent casser un peu ceci, c’est intéressant. C’était l’une des grandes ambitions de Fahlström. Pourquoi l’art devrait-il être seulement pour quelques-uns, les riches ?

Quelle exposition vous a marqué récemment ?
Seth Price à la Kunsthalle de Zurich [en 2006], même s’il n’est pas dans la Biennale. C’était très intéressant. En le rencontrant, j’ai réalisé que c’était quelqu’un qui travaillait justement sur cette question de la distribution. J’espère que j’aurai l’occasion de travailler avec lui dans un autre contexte.

(1) Manières de faire des mondes, éd. Folio, 2006.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°301 du 17 avril 2009, avec le titre suivant : Daniel Birnbaum, directeur de la Biennale de Venise 2009

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