Crèche - Safari urbain

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2013 - 794 mots

À Boulogne-Billancourt, les architectes Raphaëlle Hondelatte et Mathieu Laporte ont réalisé une crèche où les symboles de l’enfance fonctionnent comme autant de repères urbains.

BOULOGNE-BILLANCOURT - Culminant à dix-sept mètres de hauteur, une girafe jaune vif transperce la proue en porte-à-faux de la nouvelle crèche du quartier du Trapèze à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). De l’autre côté du bâtiment, une oursonne polaire s’agrippe à la terrasse du niveau supérieur tandis qu’en rez-de-chaussée une procession de coccinelles colonise l’édifice. Dans le cadre d’une profession peu portée vers l’humour et où le minimalisme radical est roi, ce bréviaire sauvage pourrait être considéré comme une symbolique naïve. D’une grande plasticité, ces sculptures de béton projeté n’ont pourtant rien d’une caricature du monde de l’enfance ; elles sont d’abord sans conteste des repères urbains. Ces derniers font défaut dans un quartier submergé de mastodontes indifférenciés, pourtant réalisés par les plus grands noms de l’architecture. L’édifice signé Raphaëlle Hondelatte et Mathieu Laporte est issu d’une fine lecture de ce contexte et d’une interprétation du programme de concours qui n’était pas sans prise de risque pour les architectes parisiens. Alors qu’il était demandé de placer l’accueil principal au sud, face à la place Georges-Besse tournée vers le nouveau morceau de ville, les concepteurs ont opté pour « une entrée au nord, rue du Vieux-Pont-de-Sèvres, afin de redonner à cette dernière une urbanité ». Ce choix bienvenu apporte de la vie à cette section de rue peu amène et vient contrebalancer autant que possible l’autisme de la tour voisine dessinée par Jean Nouvel.

Un plan limpide
Pour entrer dans la crèche, il faut passer entre les jambes de la girafe, laquelle signale de loin un confortable porche d’accès de 250 m2. Avec un sol de même nature que la chaussée, celui-ci est comme une extension de l’espace public et il peut être utilisé pour des festivités en plein air, voire comme terrain de jeu. Répondant à l’environnement architectural en espaliers – tel que les immeubles sur dalle du quartier du Vieux-Pont-de-Sèvres avec leurs silhouettes en terrasse ou encore la rampe habitée jouxtant l’équipement et assurant la jonction entre les deux quartiers –, le bâtiment prend la forme de gradins et il déroge doublement à la règle de départ. Un niveau supplémentaire a été ajouté afin de « décoincer le plan », ce qui permet de doter chaque section de terrasses de jeu de 144 mètres carrés chacune, représentant « une superficie trois fois plus grande que ce qui était demandé lors du concours », soulignent Hondelatte et Laporte. Recouverts d’un bardage métallique aux fines ondulations blanches, les volumes en tiroirs presque élémentaires se devaient d’être accompagnés d’une pose sans défauts. Mise en œuvre réussie. À l’intérieur le plan est limpide. Accueillant une crèche de soixante berceaux et une structure multi-accueil de vingt places, l’équipement sur trois niveaux est distribué verticalement par des escaliers et un ascenseur, et chacune des sections, dont les fonctions sont reliées par un long couloir, s’ouvre sur les larges espaces extérieurs. Une répartition simple facilite l’orientation des tout-petits. L’intérieur reste sobre et immaculé car « la couleur l’emportera avec les jeux, mobiliers et dessins ». Un propos rappelant à quel point est erronée l’idée que l’univers des enfants se doit d’être acidulé à outrance.
Hondelatte et Laporte se sont fait humblement connaître avec des projets dont la singularité est toujours au service de l’usage et ne relève en rien d’une quelconque esthétisation. Ainsi de l’ensemble de logements Les Diversités à Bordeaux (2009), composé de maisons perchées sur de fines échasses dégageant des circulations libres en rez-de-chaussée et dont les terrasses avec leurs grandes baies tri-rails fusionnent avec les séjours dès la belle saison. Plus récemment on garde en mémoire les logements de la rue Rebière (Paris-17e, 2012) avec, en façade, leur colonne d’ombrelles colorées protégeant les terrasses accessibles par une passerelle et pensées comme une pièce supplémentaire au logement.

Baptisé par les usagers et les habitants du quartier « crèche de la Girafe », l’équipement boulonnais a fait preuve de son appropriation par tous les publics. Malgré sa petite échelle, le bâtiment a tout d’un grand : il a su s’imposer dans un contexte architectural écrasant, il valorise l’espace public vers lequel il s’ouvre « tandis que les éléments ludiques et oniriques font glisser un peu de fantastique dans le quotidien de la ville, pour immiscer un peu de poésie dans nos vies ». Et c’est ce que l’on retient de l’architecture sensible de Hondelatte et Laporte.

Crèche de la Girafe

Adresse : 227, rue du Vieux-Pont-de-Sèvres, 92100 Boulogne-Billancourt
Maître d’ouvrage : SAEM Val-de-Seine Aménagement
Maître d’œuvre : Hondelatte Laporte Architectes avec Virginie Davo, chef de projet et Charlotte Fagart
Superficie : 1 459 m2 SHON (2 669 m2 SHOB)
Coût : 3 744 69 € HT
Livraison : 2012

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Crèche - Safari urbain

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