Isabelle Hérault et Yves Arnod

Cent ans de solide schuss

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 20 juillet 2007 - 512 mots

C’est en 1907 qu’Abel Rossignol, propriétaire d’une petite entreprise spécialisée dans la fabrication d’articles en bois à Voiron (Isère), décide de réaliser sa première paire de skis artisanale en bois massif. En cet hiver 2007, après avoir tardé à faire son apparition, la neige fut et les skis Rossignol marquèrent à nouveau de leur empreinte les pistes du monde entier. Car en cent ans, Rossignol est devenu un géant, ajoutant à son catalogue des gammes de vêtements et d’accessoires, sport et mode conjugués, qui en font l’une des sociétés françaises les plus renommées à l’international.
Pour fêter son centenaire, tout autant que son développement et son image, Rossignol a décidé d’édifier, à Saint-Jean-de-Moirans, dans l’Isère, son siège mondial. C’est une équipe de jeunes architectes bien implantée à Grenoble et composée d’Isabelle Hérault et Yves Arnod qui a emporté le morceau. Résultat, un bâtiment tout d’un bloc, une masse de bois dont les jeux d’ondulations, de courbes et de contre-courbes épousent parfaitement la nature même du paysage environnant. Rien là d’un exercice de « contextualisation » bécassine, mais un mouvement naturel, spontané, qui mêle allégrement modernité et évidence. Une enveloppe, qui définit et circonscrit tout un ensemble d’activités dans le même temps qu’elle évoque la glisse, la fluidité du mouvement engendrées par ces mêmes activités. Symbolique pas morte ! On pense à la petite phrase de Cy Twombly : « La ligne n’illustre pas, elle est perception de sa propre réalité. » À l’intérieur cohabitent ateliers et locaux techniques (regroupés le long de l’autoroute, à l’abri de la façade fermée), les plateaux de bureaux et les showrooms (alignés de l’autre côté, le long de la façade vitrée ouverte sur la nature), les deux entités étant séparées par la « rue », qui traverse le bâtiment de part en part, véritable colonne vertébrale, espace continu et fluide.
Au-dessus de la rue, à la crête du bâtiment, une longue verrière nimbe l’ensemble d’une lumière zénithale changeant au rythme des saisons.
Cette rue est essentielle à la vie de l’entreprise : s’y croisent les ingénieurs, les designers, les techniciens, les commerciaux, les visiteurs. Lesquels se retrouvent au restaurant situé au sommet, centre de gravité de la rue. Centre névralgique et stratégique, le restaurant s’ouvre, grâce à ses grandes verrières, sur le ciel et sur les montagnes, avec d’un côté le Vercors et de l’autre la Chartreuse.
Ultime subtilité, côté bureaux et showrooms, une succession de patios plantés de bouleaux jaillissent du sol et semblent perforer la toiture. Cette intrusion de la nature à l’intérieur du bâtiment n’a, une fois encore, rien à voir avec l’écologie pavillonnaire dont on nous rebat les oreilles. Ici, il s’agit plutôt d’une théâtralisation de l’espace, de la capture du paysage, de l’invention d’un monde. De l’inclusion d’un morceau de nature, réplique exacte de la végétation environnante, grâce à laquelle Hérault et Arnod perpétuent et renouvellent l’éternel dialogue entre nature et culture.
Prévu pour être livré en 2008, le siège mondial de Rossignol fêtera moins le siècle de la société que le premier anniversaire de son deuxième centenaire. Optimisme pas mort !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Cent ans de solide schuss

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