Dramaturgie

Ce soir-là

Émilie Pitoiset a créé les conditions d’une cérémonie tenue secrète

Par Françoise Chaloin · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 414 mots

CHELLES - De cette cérémonie le visiteur ne saura rien, ainsi que l’en prévient la sentence « Vous arrivez trop tard » qui fait le titre du « carton » de l’exposition ; ne restent à Chelles (Seine-et-Marne), au centre d’art Les Églises, que les éléments d’un décor dont la figure de Catherine Robbe-Grillet insuffle à la scène désertée un léger et troublant parfum surrané.

L’actrice, comédienne et romancière, également épouse de l’auteur des Gommes (1953), se révéla pleinement dans son rôle de maîtresse de cérémonies sadomasochistes et chasses à l’homme (entre femmes) inspirées d’un tableau. Elle fut conviée par Jean-Max Colard à orchestrer pour la première fois en public un « tableau vivant » lors de l’édition 2009 du Printemps de septembre à Toulouse, dont le critique d’art et spécialiste du Nouveau Roman était associé au commissariat. Lui-même a répondu à l’invitation d’Émilie Pitoiset à concevoir à trois, avec Catherine en ordonnatrice, le cérémonial ou scénario de l’exposition. Car « la pratique SM suppose […] un minimum de théâtralisation (1) », et ce sont bien les indices d’une dramaturgie secrète qui sont ici livrés : une estrade placée en son centre, chaises et paravents disposés sur et autour, distribuent l’espace, entre deux charmants escaliers de scène évoquant des sculptures.

Images mentales
Divers motifs et éléments du vocabulaire de l’artiste, du paravent aux références littéraires en passant par les documents d’archive, se retrouvent  ici insérés dans une trame dont le fil est à reconstituer par le visiteur. À lire, sous vitrine, les pages caviardées de la Maison de rendez-vous (Alain Robbe-Grillet,1965, Éditions de Minuit), au fil desquelles on apprend que « la soirée se déroule ensuite de façon normale mais d’autres personnes sont certainement sur le qui-vive car on sent quelque chose de tendu dans l’atmosphère ». À voir, entre deux serre-livre ou simplement posée sur un socle, des photographies noir et blanc énigmatiques, d’une villa abandonnée ou d’un curieux motif décoratif. À apprécier, la texture d’un cuir fin, lambeaux faussement jetés ou peau retournée dont les plis dégoulinent savamment, en drapé, au centre d’un petit miroir trois faces. Un tourne-disque muet, un vase de fleurs coupées, le tout baigné de la lumière naturelle des vitraux transparents de l’église achèvent de dessiner l’espace d’un trait élégant et suspendu. Un espace où les vrais objets semblent être là pour faire image tandis que les images mentales (le mythe Robbe-Grillet) sont invoquées dans l’espoir qu’elles s’incarnent.

Émilie PITOISET
- Commissaire de l’exposition : Éric Degoutte, directeur

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Ce soir-là

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