Émirats

Biennale éclatée

Malgré quelques fulgurances, la 10e Biennale de Sarjah, organisée jusqu’au 16 mai, manque cruellement de cohérence

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2011 - 698 mots

SARJAH - Si la précédente version de la Biennale de Sarjah (Émirats arabes unis), baptisée « Provisions for the Future », avait séduit par sa concentration, la dixième édition, intitulée de manière sibylline « Plots for a Biennale » se révèle aussi décevante que désordonnée.

Elle trahit en cela le manque d’expérience des deux commissaires, Susan Cotter, conservatrice au Guggenheim Abou Dhabi tout juste acclimatée au Moyen-Orient, et Rasha Salti, spécialisée dans le cinéma arabe. À défaut de propos structuré, Susan Cotter compare la manifestation à « une prairie où les herbes et les fleurs croissent de façon extravagante, en vastes andains ou dans des coins discrets, soumis à la pollinisation des oiseaux, insectes ou de la brise ». Une pollinisation qu’empêche le manque de ligatures entre les différents pavillons et entre la majorité des œuvres qui y figurent.

Éclaté, l’événement comporte plus de lignes de faille que de force, et pâtit de l’absence de charpente conceptuelle ou thématique. Car proposer des « conversations multiples » autour de thèmes comme la trahison, la corruption ou l’affiliation, génère davantage de cacophonie, voire de soliloque, que de cohérence. Trop souple, la maille s’effiloche au fil du parcours, les œuvres fortes côtoient des pièces anecdotiques. On s’explique ainsi mal la présence d’un documentaire iranien ronflant et élégiaque réalisé en 1975 sur les Bédouins installés entre Dubaï et Sarjah. Pas plus que celle d’un film de propagande soviétique en Afrique. Tout aussi saugrenue, l’insertion dans le parcours de trois peintres modernes syriens, Ziad Dalloul, Elias Zayat et Fateh Moudarres. Bien qu’importants dans leur genre, ces artistes ne servent en rien de figures tutélaires pour les créateurs actuels présentés.

Quelques fulgurances parviennent toutefois à sauver la mise. C’est le cas du film de la Palestinienne Emily Jacir, baptisé Lydda Airport et montrant une femme venue attendre à l’aéroport on ne sait quel invité avec un bouquet de fleurs. En attendant Godot ? En attendant une hypothétique nation palestinienne ? Le travail du Pakistanais Imran Qureshi est l’une des belles découvertes de la Biennale. Celui-ci a peint, dans la cour d’un pavillon, des motifs floraux de couleur rouille. Mais à bien regarder, les volutes se muent en éclats de sang, l’ornement devient macabre. Au Musée de Sarjah, l’artiste a aussi accroché des miniatures représentant des personnages religieux, chez qui pointent parfois des signes de modernité comme un sac griffé Nike ou des chaussettes de camouflage. Une manière de souligner les tiraillements entre tradition et modernité qu’expérimentent les musulmans pratiquants, stigmatisés au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001. 

Réalité multiple
D’autres œuvres du parcours jouent sur l’ambiguïté, comme les photographies des places d’exécution de trois villes syriennes. Pris au petit matin par Hrair Sarkissian, les clichés montrent des lieux vides mais qui portent la mémoire des exactions. L’idée de réalité multiple est aussi au cœur de la remarquable installation de l’Indien Amar Kanwar, construite autour de la résistance démocratique en Birmanie. Celle-ci montre des exilés birmans aux États-Unis, ouvriers de jour, musiciens de nuit. Le concept d’un monde parallèle et d’une géographie souterraine traverse les huit vidéos de la Franco-marocaine Bouchra Khalili retraçant sur des cartes l’itinéraire de clandestins. Ce sont d’autres réseaux secrets que dévoilent les diagrammes de l’Américain Mark Lombardi, dessinant les chemins du grand banditisme financier et de la corruption gouvernementale.

Très prégnante, une certaine littéralité documentaire laisse peu de place à l’imaginaire ou à la poésie. Celle-ci se glisse par interstices, dans l’œuvre pudique de la Franco-marocaine Yto Barrada à partir des carnets de téléphone de sa grand-mère, ou dans les collages surréalistes de l’Iranien Bahman Mohasses. L’imaginaire reprend ses droits dans Their Dreams d’Adel Abidin, ou dans Fictionville de Rokni Haerizadeh, un film où des animaux d’une vieille fable iranienne injectent à la violente réalité une dose de grotesque à la Orwell. Enfin, le rêve et l’utopie infusent le travail des Libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Le duo a choisi de reconstruire une fusée conçue dans les années 1960 par la Lebanese Rocket Society. Dressée tel un obélisque blanc, cette pièce, rescapée d’un manuel militaire noir et blanc, perd sa charge belliqueuse grâce au déplacement du regard.

SARJAH

Commissariat : Susan Cotter et Rasha Salti

 Nombre d’artistes : 93

10e BIENNALE DE SARJAH

Jusqu’au 16 mai, divers lieux, www.sharjahbiennial.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Biennale éclatée

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