Paroles d’artiste

Betty Bui

« Comment exposer dans un lieu habité ? »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 20 février 2004 - 700 mots

Née en 1967, Betty Bui travaille différents supports dont la vidéo et l’installation pour produire des œuvres favorisant les glissements et la sensualité. À l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Anton Weller, elle répond à nos questions.

 Votre exposition s’intitule « L’hôtel particulier ». Pourquoi ?
Le titre a été complètement inspiré par le lieu : c’est justement un hôtel particulier, c’est aussi un espace particulier puisque c’est un lieu habité et qu’il évoque donc des choses assez particulières. Le titre, c’est par ailleurs une chanson de Serge Gainsbourg qui décrit une maison close, établissant un parallèle avec l’exposition. C’est donc l’idée d’une maison close, un espace entre le privé, l’intime, et le public… Tout comme on rend public ce lieu privé en y présentant une exposition du mardi au samedi de 14 heures à 19 heures.

Comment avez-vous mis en place cet hôtel particulier/maison close ?
J’avais envie de faire ressurgir, d’une part l’aspect très intime et très privé du lieu, d’autre part des anecdotes intrinsèques au lieu même de l’exposition. Dès l’entrée, un tapis rouge accueille le visiteur et développe comme un parcours entre les différents espaces à visiter : le salon, la salle à manger, le couloir, l’escalier qui mène dans le bureau au sous-sol.
À l’entrée, j’ai placé une vidéoprojection sur un voile : c’est un ballet romantique de tutus qui s’égrène sur une Nocturne de Chopin. Ensuite, on entre dans le salon où sont disposées trois chaises Louis XVI à médaillon reconverties en chaises érotiques. Elles prennent des formes et des positions différentes. Il en existe des déclinaisons présentées sur une toile imprimée et qui proposent d’autres positions que j’aimerais réaliser dans le futur. Cette toile s’appelle Les Amants.
Sur les murs du salon, je présente des sculptures lumineuses : Les Stigmates. Ces pièces fonctionnent comme une sorte de mémoire suintant des murs. Des coulures, comme si les murs pleuraient du sang.

Dans la seconde salle, des cartes à jouer semblent se transformer en « cartes à jouir »…
C’est une série d’As disposés sur les murs. Les figures des As sont perverties en jeu érotique. Il y a aussi un ensemble de 36 coussins dérivés de ce même jeu. Posés au sol, ils créent une convivialité et peuvent suggérer de jouer à autre chose qu’aux cartes elles-mêmes. Et dans la salle à manger, je me suis approprié la fresque qui fait le pourtour de l’espace. J’en ai repris les motifs sous forme d’abat-jour. Au-dessus de la table, à travers les miroirs, en se penchant, on peut percevoir les personnages de la fresque dans des positions érotiques.

Vous travaillez toujours in situ ?
En règle générale, oui. Le contexte m’intéresse énormément. Mes propositions sont liées à la géographie du lieu, à son architecture… mais aussi aux gens qui y vivent ou y travaillent. Ici, je me suis posé des questions comme : qu’est-ce qu’une galerie marchande ? comment exposer dans un lieu habité ? comment faire un travail in situ mais aussi réaliser des objets qui, à partir de là, deviennent autonomes ? Tout mon travail reste comme une aventure dans les lieux où je suis invitée à exposer.
Et même si l’exposition existe en tant que telle pour le moment, elle va évoluer, tout en gardant sa trame ou, au moins, une attitude par rapport au lieu… Érotique ou non, tout dépendra des gens qui interviendront. Il y aura de nouvelles pièces dans le jardin et dans d’autres espaces de la maison comme le sous-sol. On est encore en pleine réflexion.
Je suis aussi en train de mettre en place une autre pièce : ce sont des chaussons sur lesquels sont brodés des textes qu’on ne peut lire qu’à travers un miroir. Ils reprennent le texte du carton d’invitation. Ils sont censés donner au public la possibilité d’entrer dans l’exposition comme le ferait le client d’un hôtel.

Et votre position vis-à-vis des maisons closes fermées depuis longtemps ?
Je n’en sais rien, je viens en quelque sorte d’en ouvrir une… Ça doit donner une idée de ce que j’en pense.

L’Hôtel particulier

Jusqu'au 20 avril, galerie Anton Weller, Paris. Pour toute information, merci de téléphoner au 01 43 54 56 32 ou par e- mail : antonweller@starnet.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : Betty Bui

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