Artindex 2019, Kader Attia supplante Anri Sala

De passage à Paris où il a fondé, à l’automne 2016, La Colonie, espace ouvert aux débats de société et lieu de vie où l’on peut s’attabler le temps d’un verre, Kader Attia, fidèle à sa réputation, passe derrière le comptoir pour préparer deux cafés. Ce n’est pas le moindre des talents de l’artiste que de toujours donner cette impression de totale disponibilité, alors même que son agenda est extrêmement chargé. Le lauréat du prix Marcel Duchamp 2016 a progressé de quatre places dans le classement Artindex, dont il prend aujourd’hui la tête, au prix d’un investissement en temps et en énergie qui lui a permis d’être à l’affiche de différentes institutions à travers six expositions monographiques en 2018 : en France (Mac/Val, Vitry-sur-Seine), au Portugal (Culturgest, Lisbonne), en Espagne (Fondation Miró, Barcelone), au Canada (The Power Plant, Toronto), aux États-Unis (Hood Museum of Art, Hanover, New Hampshire) et enfin à Hongkong, où sa galerie Lehmann Maupin lui a consacré un solo show. L’artiste, qui a collaboré au début des années 2000 avec la galerie Kamel Mennour, n’est pas représenté en France. Son travail a aussi été présenté à la Biennale de Shanghaï – où il a été en partie censuré – et à celle de Gwangju (Corée du Sud). Il figurait également dans la sélection de la biennale Manifesta 12, à Palerme.

Si sa première apparition remarquée date de 2003, lorsqu’on découvrit, à la Biennale de Venise, son regard sur les transsexuels algériens (La Piste d’atterrissage, série photographique), la notoriété de Kader Attia a véritablement explosé avec l’installation de sculptures Ghost (2007), devenue iconique. Sa trajectoire ascensionnelle est depuis, constante, mais c’est en 2012 qu’il donne forme au concept de « réparation », qui prendra une place centrale dans son travail, avec une installation remarquée lors de la Documenta 13, à Cassel : The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures. « On ne cesse de le constater : le XXIe siècle est celui des revendications de réparation », souligne-t-il. Son œuvre entre donc en parfaite résonance avec l’époque.

Alors que la Hayward Gallery à Londres présente jusqu’au 6 mai « The Museum of Emotion », Kader Attia accroche ces jours-ci quelques-unes de ses œuvres au tout nouveau Musée des civilisations noires de Dakar, sur invitation de Felwine Sarr. Le quasi-quinquagénaire croit en effet à la nécessité, que ce soit dans une galerie underground de Prague ou dans une petite structure en Afrique, de « ne pas s’enfermer dans le confort des grandes invitations et de continuer à mettre en danger [s]a pratique dans des conditions précaires ». Inquiet d’un horizon où se profile la numérisation de la culture et l’expérience virtuelle, il continue d’affirmer le pouvoir cathartique de l’œuvre appréhendée dans sa dimension émotionnelle. « Son travail, qui est très riche, nécessite un engagement physique et intellectuel si on veut le connaître », précise sa galeriste allemande Saskia Draxler (Nagel-Draxler, Berlin, Cologne).

Paradoxalement, cette complexité n’est pas incompatible avec le succès. « Sur le long terme, les gens peuvent faire la différence entre une démarche superficielle et une approche authentique de la politique et de l’esthétique », assure Saskia Draxler.

Cependant, en 2019, Kader Attia a l’intention de « ralentir » et pourrait bien céder sans regret sa place de premier du classement. Entre septembre, où la galerie Lehmann Maupin lui consacre un solo showà New York, et mai 2020 où une exposition monographique est programmée au Kunsthaus de Zurich, il veut se réserver du temps. « J’ai sur ma table un scénario de film et un essai à écrire. » Même si son œuvre témoigne d’un tropisme récent pour l’Asie – avec sa saisissante installation Shifting Borders (2018) –, il y a de fortes chances que Kader Attia passe donc quelques mois casaniers à Berlin, où il dispose d’un petit bureau et d’une immense bibliothèque.

Anri Sala, passé en deuxième position du classement dont il occupait en 2018 la première place, vit et travaille lui aussi dans la capitale allemande. Il y a emménagé en 2006 et revient à Paris essentiellement pour les besoins du travail de postproduction de ses films – son collaborateur le plus proche, Olivier Goinard, chargé de l’ingénierie du son, est en effet français. L’agenda n’est pas moins chargé que celui d’Attia. En 2018, Anri Sala a bénéficié d’une exposition monographique au Museo Tamayo à Mexico. Il a également présenté, au Garage à Moscou, The Last Resort, une commande réalisée l’année précédente dans le cadre du Kaldor Public Art Projects, à Sidney, en Australie. Le Museum Morsbroich à Leverkusen, en Allemagne, a pour sa part montré une autre de ses pièces majeures, The Pliable Plan. Rococo in Contemporary art.« Mais chaque exposition est un exploit technologique en soi, avec des dispositifs vidéo ambitieux. Les conditions de la projection ne sont jamais anodines, car elles font partie de l’œuvre elle-même », explique-t-on chez Chantal Crousel. Sa galerie parisienne a d’ailleurs accueilli un solo show de l’artiste fin 2018.

Actuellement programmé au Castello di Rivoli, à Turin, avec une étonnante présentation visuelle et sonore, Anri Sala prépare activement deux expositions importantes pour l’automne prochain, au Mudam, à Luxembourg, ainsi qu’à la Fondation Botín à Santander, en Espagne. « D’année en année, il essaie de trouver un équilibre », résume-t-on chez Chantal Crousel.