Musée

Anna Coliva, directrice de la Galerie Borghèse, à Rome

Forte d’un bon bilan, Anna Coliva a été confirmée dans ses fonctions de directrice de la Galerie Borghèse à Rome

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2017 - 1389 mots

Seule parmi les conservateurs à être renouvelée dans ses fonctions lors de la réforme en 2015 des vingt grands musées italiens, la directrice de la Galerie Borghèse affiche un bon bilan depuis 2006.

« Je ne fais confiance à personne, mais à toi, oui. » En quelques mots la marquise Sacchetti prit Anna Coliva de court. La surprise fut grande. La donation du Portrait du cardinal Giulio Sacchetti (1627), de Pierre de Cortone, par la Fondazione Giulio e Giovanna Sacchetti – tableau qui vient rejoindre son pendant, le Portrait de Marcello Sacchetti, déjà dans les collections –, est d’autant plus exceptionnelle que le musée ne s’était pas enrichi d’une œuvre aussi importante depuis bien longtemps. En réalité, c’est l’Italie tout entière qui n’avait pas reçu un tel don, estimé à quelque 5 ou 6 millions d’euros, depuis de nombreuses années. Le ministre des Biens et Activités culturels, Dario Franceschini, a parlé d’un « acte symbolique ».

Surprendre quand on est à la tête du musée intimiste qui réunit le plus de chefs-d’œuvre au mètre carré au monde est pourtant une gageure et un exercice d’équilibriste. Les ressources sont limitées – la fréquentation maximale est fixée à 560 000 visiteurs par an pour des raisons de sécurité et de conservation –, les espaces sont comptés et même les acquisitions sont soumises aux règles drastiques du fidéicommis qui ne permet d’acquérir que des pièces provenant des fonds liés à la famille et à son histoire.

Faire revenir les Italiens
Le bilan d’Anna Coliva, directrice coordinatrice de l’institution entre 1994 et 2005 avant de prendre sa direction en 2006, est significatif. Sur le plan du mécénat, elle a réussi en dix ans à lever 12 millions d’euros à elle seule, puisque son équipe – composée d’une conservatrice, de deux assistantes administratives, d’une secrétaire – n’est pas dotée d’un service relations publiques ni même d’un service presse. Ces fonds sont l’unique source de revenus dont elle dispose pour assurer la restauration des œuvres, réaliser les expositions ou encore développer l’accueil du public. Il y a quelques années, elle expliquait à qui voulait l’entendre : « Si un touriste coréen arrive chez nous et qu’il a soif après avoir parcouru les jardins, il n’a pas d’autre solution que d’aller dans les toilettes et ouvrir un robinet. » Un sens de la formule bien connu à Rome et qui a vite payé, puisqu’un mécène s’est proposé d’équiper à nouveau le musée d’une cafétéria. Si Anna Coliva confie suivre souvent les visiteurs étrangers qui pénètrent pour la première fois dans les lieux afin d’observer leur stupéfaction, elle se bat aussi pour faire revenir les Italiens, notamment par le biais de l’exposition d’art ancien qu’elle propose chaque année et de la carte blanche à un artiste contemporain.

« Anna ose tout ! », s’est exclamé le couturier Azzedine Alaïa, interrogé, qui reconnaît combien son exposition « Couture/Sculpture » présentée en 2015 à la Galerie Borghèse avait été un pari risqué pour elle, au moment le plus critique de sa carrière, à la veille du concours de recrutement des vingt nouveaux « super-directeurs » – même l’indétrônable directeur des Offices a fait les frais de la réforme.

Si les expositions temporaires précédentes étaient plus institutionnelles, ces choix n’étaient pas pour autant attendus dans la Ville éternelle. Inviter Candida Höfer n’était pas anodin. La série « Villa Borghese Roma », où apparaissent sur certaines images les antiques Borghèse du Musée du Louvre, prêtés exceptionnellement pour être replacés dans leurs lieux d’origine, est une formidable réflexion sur le passé et le présent du lieu. L’artiste a créé des images iconiques des intérieurs qui prendront le pas sur toutes les autres représentations. « Les expositions sont indispensables pour faire vivre les collections, soutient Anna Coliva. Nous avons le devoir d’offrir au public de nouvelles interprétations des œuvres. Montrer que c’est la découverte des Bernin de la collection Borghèse qui a permis à Canova de comprendre que l’antique n’était pas seulement celui théorisé par les savants mais bien plus, l’antique vrai, celui des Grecs, fut fondamental [pour l’exposition “Canova e la Venere vincitrice”, en 2007-2008]».

L’art de la conversation
Il n’y a pas de secrets. Si Anna Coliva se contentait de dîner d’un risotto chez elle tous les soirs, elle aurait bien du mal à trouver des mécènes. La directrice ambassadrice de la Galerie Borghèse apparaît sur toutes les photographies des réceptions romaines. Elle est de toutes les manifestations – elle nous a donné rendez-vous un lundi à 16 h 30 avant d’enchaîner la présentation d’un livre, la projection d’un film puis un dîner à l’autre bout de la ville.

Anna Coliva est douée d’un formidable talent de conteuse et pas seulement sur les Raphaël, Caravage, Bernin de la Galerie Borghèse. Si elle parvient à mettre à l’aise tant les gardiens du musée que les princesses romaines, c’est en partie grâce à sa façon de tout minimiser. Il suffit de l’entendre parler des « pèlerinages sentimentaux » qu’elle fait dans la campagne autour de Sorbara où elle se rendait chaque année jusqu’au début de ses études pour retrouver l’une de ses tantes pendant le « mois sacré de septembre ». Au lieu de souligner l’étendue des propriétés terriennes de sa famille paternelle en Émilie-Romagne, elle évoque en riant sa « passion » pour ces lieux pourtant « plein de moustiques, humides, une chaleur folle en été, un froid mortel en hiver avec la neige qui envahit tout… ». Quand elle se laisse aller à quelques confidences sur Federico Fellini qu’elle a beaucoup côtoyé « da raggazina », elle explique à ses interlocuteurs médusés que tout cela vient d’une série de coïncidences. Son amie d’enfance est devenue en effet à 18 ans l’assistante du monstre sacré du cinéma italien pour échapper à la Pologne où le mandat d’ambassadeur de son père venait d’être prolongé « ad fine » avec l’accession de Jean-Paul II à la tiare papale. Un autre hasard bienheureux, la bienveillance de Plinio De Martiis de la galerie romaine La Tartaruga, lui permit de rencontrer, lors de ses premières années à l’Université, Eliseo Mattiacci, Gino De Domenicis, Jannis Kounellis, Cy Twombly… Sur chacun de ces artistes, elle a une anecdote ou un bon mot.

Une hussarde noire
Derrière la manageuse hors pair et la femme glamour, il y a surtout une fervente « hussarde noire » du patrimoine italien qui a refusé à plusieurs reprises les propositions alléchantes de grands musées américains. Dans son bureau assez modeste installé dans les soupentes de la Galleria Borghèse mais dont la vue sur le parc est imprenable, elle explique que c’est la découverte à l’âge de 16 ans des ouvrages novateurs de l’historien de l’art Giulio Carlo Argan qui a décidé du cours de sa vie. C’est d’ailleurs Argan, sachant que ses parents étaient originaires de Bologne et de Modène, qui l’a poussée plus tard à se spécialiser sur la peinture bolonaise, il lui était facile de trouver un point de chute pour se plonger dans les archives à Bologne.

Après les quatre ans de laurea [diplôme universitaire] les trois de specializzazione, elle décrocha le concours d’ispettore storico dell’arte [« inspecteur historien de l’art »] qui lui permit d’être nommée à la Soprintendenza de Parme et Piacenza pendant douze ans. « Tous les principes que nous avions étudiés trouvaient un cadre administratif pour être appliqués sur le terrain, raconte-t-elle. Les structures du ministère créé dans les années 1960 pour la conservation du patrimoine en étaient une émanation directe. Ce fut un moment unique, avant une série sans fin de réformes. Les historiens de l’art étaient sur les barricades pour se battre contre le grand problème de nos territoires, la spéculation qui met en danger notre patrimoine. C’était alors un métier très politique au sens où l’entendait Argan, car il impliquait la vie sociale et une conception de la vie sociale. » Les historiens de l’art italiens sont d’ailleurs toujours sur les barricades.

Anna Coliva en dates

1953 Naissance à Rome.
1980 Réussit le concours d’Ispettore storico dell’arte.
1994 Directrice coordinatrice de la Galerie Borghèse.
2006 Directrice de la Galerie Borghèse.
2007-2008 Exposition « Canova e la Venere vincitrice »
2010-2012 Exposition « I Borghese e l’Antico »
2015 Confirmation dans ses fonctions à la tête de la Galerie Borghèse.
2016 Obtient la donation du « Portrait de Giulio Sacchetti », de Pierre de Cortone.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Anna Coliva, directrice de la Galerie Borghèse, à Rome

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