Design

Andrea Branzi : « Le designer doit entrer dans la micro-dimension »

Architecte et designer

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2014 - 803 mots

À Bordeaux, l’architecte et designer Andrea Branzi expose sa démarche visionnaire sur un demi-siècle de création.

Vous avez commencé à réfléchir sur la ville dès la fin des années 1960. Avec la série « No-Stop City », ou « Métropole infinie », dénonciez-vous déjà une ville sans qualité ?
Ces recherches, notamment des maquettes, sont des expérimentations théoriques. Elles étaient conçues non pour être réalisées, mais pour changer la pensée des architectes sur la ville car, à l’époque, l’architecture devenait homogène. Face à une société de consommation qui n’avait plus de valeurs et privilégiait un développement quantitatif et non qualitatif, cette expérimentation sur l’infini était une manière de dénoncer la crise de la ville. Y est mise en avant l’idée d’un territoire infini, d’une « métropole liquide » non plus représentée par l’architecture mais par les objets et les services. No-Stop City était une préfiguration de la ville globale actuelle.

La modernité est-elle révolue ?
Oui, assurément. Dans une tradition « euro-centrique », le Mouvement moderne et sa Charte d’Athènes réservaient des zones au travail, d’autres au temps libre. Ce type de spécialisation est impossible aujourd’hui où tout se mélange. Pour la première fois de l’Histoire, nous sommes 7 milliards d’habitants sur Terre et tout s’entremêle : identités, religions, tendances, désirs, amours… Cela produit une réalité hors de contrôle, une sorte de grande anarchie, mais une anarchie positive. L’espace de la ville est devenu un territoire humain d’une énorme complexité.

En 2009, lors de la consultation relative au projet du Grand Paris, vous aviez soumis une proposition qui en a interpellé plus d’un…
J’avais proposé de disperser dans la capitale 300 vaches sacrées et 30 000 singes, tels ceux qui pullulent dans les temples, en Inde. J’aime beaucoup les métropoles indiennes où tout fonctionne ensemble : technologie et théologie, vivants et morts, trafic routier et vaches sacrées… C’est une vision cosmique de la ville.

Quelle est la grande caractéristique de la ville du troisième millénaire ?
Nous sommes passés d’une société où la ville était un ensemble d’architectures à la présence symbolique fondamentale à une société de marché et de services constituée d’un ensemble de fluides. Le marché est un phénomène ingouvernable et imprévisible, d’un grand dynamisme et d’une complète fluidité. Les transferts s’effectuent de part et d’autre du globe en un rien de temps. Le marché n’a pas de territoire distinct et la ville se retrouve, de fait, déterritorialisée.

Pouvez-vous expliciter votre concept d’« urbanisation faible » ?
La ville est encore trop rigide en regard des besoins d’une société qui change en permanence. Prenez les favelas : au-delà de la question sociale que cela pose, la favela est un organisme unique qui se modifie en fonction des nécessités. Elle doit à chaque instant s’adapter pour rechercher un équilibre provisoire. L’organisation y est fluide et l’architecture sans cesse en mouvement. Sans doute, les urbanistes devraient-ils s’inspirer davantage de ce genre de structure que j’appelle « urbanisation faible ».

Vous militez depuis toujours pour une intégration de la nature dans la ville. Que pensez-vous de l’action des partis écologistes ?
Sauver la nature sans sauver l’homme est vain. Les écologistes prennent des positions qui vont malheureusement souvent à l’encontre du bien-être de l’homme. Ils pensent encore que la campagne est déconnectée de la ville et suit ses propres lois, or ces deux territoires fonctionnent de pair. Les écologistes doivent comprendre que la qualité de la vie ne consiste pas simplement à vivre avec un nombre x de mètres carrés d’herbe. L’environnement est un sujet complexe. Le problème n’est pas de réduire la consommation d’énergie de 10 %, mais à 10 % ! Certes, une telle décision est impossible, sinon à travers un désastre anthropologique complet. Bref, les écologistes devraient dès à présent inventer une « post-écologie ».

Vous avez aussi une théorie sur les micro-espaces…
À l’instar de Muhammad Yunous [fondateur de la Grameen Bank qui fut première à accorder des microcrédits aux pauvres, NDLR] qui a lancé la microéconomie, le designer doit entrer dans la micro-dimension, dans les porosités de la société. Les objets sont devenus des protagonistes de la vie de l’homme, une présence qui influe sur la qualité d’une ambiance, d’un espace, d’un environnement. Les jeunes designers voient que le monde est molto brutto [« très moche »] et ils essaient, à travers des micro-projets, de le transformer, d’apporter une révolution qualitative. Les objets sont générateurs de la qualité poétique de l’espace, donc de la ville.

Le design est-il désormais un domaine installé ?
Dans une époque où l’économie est globalisée et où chaque entreprise doit se confronter à la concurrence, le design est devenu une activité stratégique. Il y a toujours besoin d’une capacité d’innovation et cette énergie, le design peut l’engendrer. C’est pourquoi les écoles de design se sont développées. La question, aujourd’hui, ne doit pas se focaliser sur la production ou non d’objets, mais sur le rôle du designer. Ce dernier peut aussi bien être consultant en stratégie ou directeur artistique. Les espaces à explorer sont gigantesques !

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Andrea Branzi - © Photo Emanuele Zamponi

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Andrea Branzi : « Le designer doit entrer dans la micro-dimension »

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