Urbanisme

Clap de fin pour le plus grand squat artistique d'Île-de-France

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 18 juillet 2017 - 672 mots

VINCENNES

VINCENNES (ILE-DE-FRANCE) [18.07.17] - L'écrasant bloc de béton a des allures de vaisseau-fantôme : la Cité de la Jarry, ancien bâtiment industriel de Vincennes reconverti en gigantesque squat artistique, considéré comme le plus grand d'Île-de-France, doit fermer ses portes, laissant ses derniers occupants désemparés.

« Voir tout ça se vider, c'est à la fois émouvant et assez désagréable » : Antoine, 34 ans, qui avait installé son atelier de scénographiste voici sept ans à la Jarry, se dit « plein de nostalgie » pour ce « lieu unique » : 45 000 m² truffés de dédales de rampes, escaliers et rues circulaires où chaque centimètre de mur est recouvert de graffitis.

La préfecture et la mairie doivent se réunir lundi pour planifier l'évacuation définitive. « C'est une verrue dans le quartier », assène Laurent Lafon, maire UDI de Vincennes. « Biscuiterie des Tourelles », « Bagages Caravelle », « laboratoires pharmaceutiques Sterifill »... : l'imposante façade blanche décrépitée porte encore la mémoire des entreprises qui ont investi jadis ce colosse architectural de six étages, désormais perdu au milieu d'un quartier résidentiel cossu.

Bâti dans les années 1930, à l'époque des utopies urbaines et sociales, la Jarry se voulait l'exemple « du mieux-être du petit industriel, de l'artisan et de l'ouvrier ». Le rêve s'est accompli, bon an mal an, jusqu'au début des années 1990 où commencent à arriver les premiers squatteurs. La mauvaise gestion des héritiers des deux grandes familles propriétaires du lieu fait progressivement fuir les entreprises. Les locaux se vident, les difficultés financières s'accumulent, le bâtiment se dégrade : un arrêté de mise en péril est pris en 2004 puis une procédure d'expropriation est lancée.

Après une longue bataille juridique, les communes de Vincennes et Fontenay-sous-Bois, réunies en syndicat intercommunal, rachètent le site pour 25 millions d'euros à l'été 2015. Objectif : tout démolir et construire un lycée. Mais entretemps, des artisans, des artistes, des familles voire des marginaux, fuyant la spéculation immobilière de la capitale toute proche, ont investi les lieux, jusqu'à rassembler 300 personnes.

« Jarrystan » sur le dos
Les dettes ont régulièrement miné la bonne cohabitation de cette faune hétéroclite, mais beaucoup retiennent « l'entraide » et un mode de vie alternatif. « C'était super pratique, tu avais toutes les corporations de métier. Quand j'avais besoin d'un menuisier, j'allais voir mon voisin », raconte Julien, décorateur de théâtre, installé depuis près de dix ans.

« C'était une vie alternative, avec de la mixité : des gens bien comme des crapules, et tout ça cohabitait », résume Antoine. « Certains sont venus pour créer ou travailler. D'autres pour faire du trafic ou tout simplement sauver leur vie », observe Charles, carreleur. En attendant d'être délogés par la police, une dizaine d'irréductibles « Jarryssois » profitent des dernières heures pour dénicher des trésors abandonnés dans le capharnaüm des ateliers ouverts aux quatre vents.

Les plus illustres occupants, comme le peintre allemand Peter Klasen, artiste majeur du mouvement de la Figuration narrative qui travaille sur le thème de l'industrie, ont mis leurs toiles à l'abri. Certains savent déjà qu'ils trouveront un point de chute, d'autres comme Ousmane, tee-shirt « Jarrystan » sur le dos, n'ont « nulle part où aller ». Il en veut à la mairie « qui a tout fait pour que ça ne marche pas ». Julien regrette, lui, le projet retoqué de Jean Nouvel. L'architecte mondialement connu proposait de mixer lycée, logements, bureaux et ateliers. « Irréaliste » et « farfelu », balaye le maire Laurent Lafon.

Jérôme, doyen de la Jarry où il est arrivé en 1990, aurait rêvé d'une reconversion sur le modèle des Frigos de Paris : cet ex-squat, devenu lieu de création artistique, a redonné une seconde vie aux anciens entrepôts frigorifiques de la capitale, tombés en désuétude dans les années 1970 après l'ouverture du marché de Rungis. « Ça fait tellement de fois qu'on nous dit que c'est la fin que je n'y crois plus. En septembre, on sera encore là », parie Michael, 44 ans, plombier autoproclamé du squat.

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Vue de la Cité de la Jarry située à Vincennes (Ile-de-France) © Photo Joel Saget / AFP - 15 juillet 2017.

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