Fondation

Charles Carmignac : « Aller sur une île nécessite un effort. Il y a une forme de radicalité »

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 22 mai 2018 - 758 mots

ÎLE DE PORQUEROLLES

Charles Carmignac est directeur de la Fondation Carmignac depuis janvier 2017. Il inaugure, le 1er juin 2018, la Fondation Carmignac installée sur l’île de Porquerolles.

Comment est née la collection Carmignac ?

La collection s’est construite au fil du temps, depuis une trentaine d’années. Mon père [Édouard Carmignac, président et fondateur de la société éponyme, spécialisée dans la gestion d’actifs, NDLR] a commencé à collectionner dans les années 1980, à New York. À l’époque, il fréquentait la Factory et était très sensible à la production d’Andy Warhol et de Jean-Michel Basquiat. Il acquiert alors plusieurs de leurs œuvres et les installe dans les bureaux de la société. Son idée, non dénuée d’utopie, était claire : dans ce monde de la finance où il faut être en permanence dans l’anticipation, mon père pensait que ces œuvres visionnaires pourraient être inspirantes pour les employés dont le travail, justement, était de prévoir les tendances du marché et l’évolution du monde. Depuis, la collection s’est étoffée pour atteindre aujourd’hui quelque trois cents œuvres, dont six pièces de Gerhard Richter et la plus importante collection privée, en Europe, de Roy Lichtenstein (quatorze œuvres). Trois acquéreurs peuvent l’enrichir : la société Carmignac Gestion, la Fondation Carmignac et… mon père, à titre personnel.

La Fondation d’entreprise Carmignac a été créée en 2000, à l’initiative d’Édouard Carmignac. D’où vient cette idée de l’installer sur l’île de Porquerolles ?

D’une histoire d’amour. En 1989, mon père a été invité à Porquerolles, au mariage de Jean Rochefort avec Françoise Vidal, fille de l’ancien propriétaire de la villa, l’architecte Henri Vidal. Il est alors tombé amoureux du lieu et a fait part de son souhait de devenir acquéreur, si le domaine était, un jour, mis en vente. Ce fut le cas il y a cinq ans, et l’idée d’y ouvrir une fondation s’est concrétisée. Mon père, qui a été profondément marqué par Guy Debord et par les Situationnistes, voulait non pas un lieu où l’on se rendrait en coup de vent, entre deux rendez-vous, mais, au contraire, un site qui permette de se détacher de son quotidien. Aller sur une île nécessite un effort, c’est un périple. Il y a une forme de radicalité, de dépouillement. On se vide l’esprit. Sur l’île de Porquerolles, il y a un génie du lieu. L’idée était de créer dans ce site inspiré un espace propice pour partager la collection avec le public.

Quelles sont les principales missions de la fondation ?

La fondation s’occupe, d’une part, de valoriser la collection et, d’autre part, du Prix Carmignac du photojournalisme, lancé en 2009 et doté de 50 000 euros annuels. Les reportages primés dénoncent des situations où les droits humains sont bafoués. Il y a deux ans, par exemple, nous avions révélé la situation de l’esclavage en Libye. C’est notre manière à nous d’être engagés. Ce prix reflète notre inscription dans la réalité. Quatre photographies entrent chaque année dans la collection, ce qui lui donne une identité particulière.

Quel est le budget de la fondation ?

Le budget annuel, qui équivaut à un pourcentage du chiffre d’affaires de la société Carmignac, s’élève à plus ou moins 3 millions d’euros par an. En parallèle, nous bénéficions également, pour le site de Porquerolles, d’un fonds de dotation de 2,5 millions d’euros.

Quel est le thème de l’exposition inaugurale ?

Son titre, « Sea of Desire », vient d’une œuvre éponyme du peintre américain Ed Ruscha, que les visiteurs découvriront en fin de parcours en s’aventurant dans la forêt. La présentation inaugurale réunit soixante et onze œuvres issues de la collection, auxquelles s’ajoutent sept prêts, ainsi que dix-neuf commandes spécifiques. L’exposition joue sur deux notions : Éros et Thanatos, deux forces contraires, mais indissociables, qui s’autoalimentent : la création et la destruction, le beau et le laid… La fondation, à Porquerolles, paraît bucolique, voire paradisiaque. Or, il y a sous le bâtiment une réalité moins rose et plus violente, portée par des artistes engagés. En clair : sous la surface des choses, il se passe des choses plus crues, que l’on ne soupçonne point…
 

Lizzie Sadin
Lauréate de la 8e édition du Prix Carmignac du photojournalisme,la photographe est exposée jusqu’au 15 juin à la Saatchi Gallery à Londres.
3 millions d’euros
C’est, peu ou prou, le budget de fonctionnement annuel de la Fondation d’entreprise Carmignac.
« Je n’aime pas l’idée de posséder une collection. Mes œuvres sont plutôt mes écailles posées sur les murs. Des traces de moments de vie, de pensées et d’émotions… » Édouard Carmignac, Walk on the Wild Side, Au cœur de la collection Carmignac (éditions Skira).

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : Charles Carmignac : "Aller sur une île nécessite un effort. Il y a une forme de radicalité"

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