Focale

Cartogaphier les hommes

Par Marie Frumholtz · L'ŒIL

Le 23 mai 2017 - 321 mots

La carte est un objet omniprésent dans notre espace médiatique et numérique, difficile à ignorer.

Elle revêt une dimension aussi symbolique que politique, sociale, économique et artistique. Cet ouvrage collectif, dirigé par Jean-Marc Besse, chercheur au CNRS, et Gilles A. Tiberghien, auteur de Nature, art, paysage, en retrace les usages, révélateurs de grandes évolutions dans nos sociétés au cours des siècles. Le groupe d’enseignants-chercheurs qui le réalise, des géographes pour la plupart, mais aussi des historiens et des philosophes, prend la suite des réflexions entamées par le catalogue de l’exposition « Cartes et figures de la terre » du Centre Pompidou en 1980. L’ensemble est sobre et facile à lire, à mi-chemin entre le livre universitaire et le « beau livre ». Cinq champs de recherche y sont développés : les dimensions, le corps, la matérialité, les rencontres et l’imaginaire. Chaque chapitre est ponctué de focus philosophiques un peu décalés, sur la signification du dispositif « vous êtes ici », les débats autour des plis et de la forme d’un plan, ou encore un film d’animation Disney qui en dit long sur notre représentation du monde. Loin de servir uniquement à l’orientation, les satellites ont désormais pris le relais, les cartes servent à repenser l’espace. « La cartographie est une opération de “requalification” du territoire, au sens où elle permet de lui donner de nouvelles qualités », peut-on lire dans l’introduction. Il ne s’agit pas de calquer une réalité, mais d’agir sur le territoire, par la performance et l’expérimentation. C’est dans cet écart avec le monde réel que réside le potentiel de création. Nabokov ou Georges Perec en ont usé, le cinéma et les arts plastiques également. Si les réflexions peuvent paraître un peu déroutantes, le lecteur ne perd pas le Nord grâce aux chapitres clairement découpés et accompagnés d’illustrations parlantes. Finalement, l’acte de faire des cartes, le « mapping », n’est jamais neutre. Instrument du pouvoir, de domination et de manipulation, l’action fascine bien au-delà de l’espace et du temps.

Jean-Marc Besse et Gilles A. Tiberghien (dir.),
Opérations cartographiques,
Actes Sud, 352 p., 39 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : Cartogaphier les hommes

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