Profession

Sculpteur en préhistoire

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 702 mots

Élisabeth Daynès parvient à redonner vie aux femmes et hommes préhistoriques.

Il suffit de pénétrer dans son atelier d’une arrière-cour du quartier de Belleville, à Paris, pour comprendre qu’Élisabeth Daynès exerce un métier à part. Là, au milieu d’autres hominidés qui semblent prêts à bondir, on aperçoit la petite Lucy, célèbre australopithèque découverte en 1974, bouche ouverte et yeux perçants, au corps recouvert d’une pilosité abondante. L’effet est troublant tant la sculpture semble humaine. « J’essaie de participer à la transmission et à la réhabilitation de leur apparence physique, explique Élisabeth Daynès. Mon travail est un relais entre les scientifiques et le public. » Depuis 1988, cette plasticienne a, en effet, abandonné ses commandes pour le théâtre et le cinéma pour se consacrer à une spécialité bien particulière, celle des hommes préhistoriques. « C’est un hasard qui m’a amenée à répondre à une commande en Dordogne pour recréer un groupe de Magdaléniens, raconte cette dernière. La passion a été immédiate ». Déjà intéressée par le travail sur la peau et l’hyperréalisme, la plasticienne s’engage alors dans un long apprentissage, écumant les publications scientifiques, poussant plus loin encore ses connaissances en anatomie. Ensuite, il aura fallu convaincre les laboratoires de son sérieux pour obtenir le prêt des moulages de crânes.

Données objectives
Car c’est là que réside toute la spécificité du travail du sculpteur en préhistoire : il faut œuvrer à partir de données objectives, qui peuvent évoluer rapidement au gré des découvertes. Pour chaque sculpture, Élisabeth Daynès travaille donc à partir d’un moulage de crâne fossile le plus complet possible ou, parfois, à partir d’une stéréolithographie, c’est-à-dire d’un moulage fabriqué à partir de données d’un scanner. « Les crânes nous livrent une masse très importante d’informations, développe cette dernière, comme la corpulence ou la stature ». Les points craniométriques permettent ainsi d’établir une véritable carte d’identité, permettant de connaître, outre l’épaisseur des muscles et des tissus, l’âge du décès, le sexe, les pathologies apparentes et même le régime alimentaire de l’hominidé étudié. Toutes ces données sont collectées lors de longues conversations menées avec des experts, paléontologues et anthropologues, mais aussi avec des spécialistes en anatomie ou en criminologie. Les indications provenant du contexte de la fouille procurent ensuite des éléments sur le climat et permettent de bâtir des hypothèses sur la couleur de la peau ou la pilosité. « Il existe toujours des parties subjectives, précise Élisabeth Daynès, mais elles sont débattues avec les scientifiques ». Commence alors le patient travail de conception du sculpteur. Sept mois ont été nécessaires pour recréer Lucy, selon un rituel bien établi. La première étape consiste à mettre en place les muscles sur le moulage du crâne, à l’aide d’une terre de faïence. Une fois validé par les scientifiques, l’écorché sera complété par l’application des épaisseurs de peau. Débute ensuite le travail artistique, qui consiste, dans un premier temps, à mettre en place les expressions du visage. L’ensemble est enfin moulé pour obtenir l’épreuve en silicone – « la plus belle matière pour restituer la peau, grâce à sa transparence » – qui est ensuite retravaillée par coloration et sur laquelle est implanté le système pileux, à l’aide de cheveux véritables ou de poils de yack.
Assistée d’une plasticienne qu’elle forme depuis sept ans et de deux spécialistes du moulage, Élisabeth Daynès est aujourd’hui une professionnelle de renommée internationale qui obtient près de 98 % de ses commandes à l’étranger. De nombreux musées, en France mais aussi en Allemagne, au Mexique ou aux États-Unis, font désormais appel à son talent. Un groupe entier de Néandertaliens partira bientôt pour le Musée de Krapina, en Croatie. Si de très rares professionnels exercent cette spécialité avec un tel niveau d’exigence – « mais une sensibilité artistique différente », Élisabeth Daynès doit pourtant faire face à une autre concurrence, celle du multimédia, « qui ne peut toutefois produire le même degré d’émotion », plaide-t-elle. Reconnue aujourd’hui dans les milieux scientifiques, Élisabeth Daynès semble aussi aspirer à autre chose, déçue, peut-être, de voir ses créations uniquement cantonnées à un strict contexte documentaire. Elle caresse ainsi un projet plus personnel, qui pourrait fasciner les amateurs d’hyperréalisme : exposer une meute entière de ses hominidés, toutes époques confondues.

Formation

Il n’existe pas de formation spécifique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Sculpteur en préhistoire

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