Art contemporain - Design

Atelier A comme Arnal

Par Jean-Louis Gaillemin · L'ŒIL

Le 1 octobre 2003 - 1093 mots

Sous le nom modeste d’Atelier A, le VIA raconte l’entreprise prématurée du peintre et sculpteur François Arnal, qui a voulu réunir « l’art et la vie », dans un atelier de la Bastille, au début des années 1970. Un épisode essentiel de l’histoire du design.

« Je n’aurais pas eu autant de monde pour ma peinture » disait Arnal au lendemain d’un vernissage qui a fait exploser l’atmosphère confinée du VIA sous les arcades de l’avenue Daumesnil. Les copains et clients des années 1960 retrouvaient les puciers de Serpette et les marchands de la rue de Seine, sous l’œil bienveillant et ravi de Daisy de Galard, immortelle animatrice de Dim Dam Dom. Alors que la peinture abstraite à la française, l’art « informel » de Michel Tapié lutte toujours pour se faire reconnaître d’un marché international qui a décidé que la France avait abdiqué après guerre, tout le monde redécouvre l’Atelier A.
 
Les cailloux lumineux d’André Cazenave n’avaient jamais disparu de la mémoire collective : roulés sur la moquette à long poil façon peau de mouton, ils évoquaient les bivouacs des enfants gâtés de la révolution des fleurs. Les tables nappes ou mouchoir de France Bertin, un carré replié sur ses pointes, avaient frappé par l’ingéniosité « tout plastique » des années simplistes du « design prisunic ». Les quelques néons humoristes signés Télémaque, Sara Holt, Annette Messager, Malaval ou César évoquent l’époque des « fosses de conversation » et des plafonds laqués en noir. Mais qui regarde encore la série « fil » tabourets, chaises, tables basses en acier chromé ou laqué, les bougeoirs faits d’un tuyau de douche rigidifié, les pieds « serre-joint » qui permettent de tout transformer en table ou la table en PVC thermoformé avec casiers à crayons intégrés ? Trop simples, trop nus, trop vides !

Quant aux grands morceaux de virtuosité d’Arnal, pliages ingénieux d’épaisses plaques de polymétacrylate de méthyle, (traduisez plexiglace, avec un c), ils ont été réalisés à trop peu d’exemplaires pour être connus hors d’un groupe d’initiés. Parmi eux, Roland de Montaigu, Henri Samuel, décorateur international à qui l’on doit notamment les fastueuses period rooms du Metropolitan Museum de New York, qui avait l’habitude de mêler à ses sièges et meubles anciens, les créations de ses amis artistes comme Philippe Hiquily, Diego Giacometti, François Arnal, Denis de Rougemont et parmi les plus jeunes Marco de Gueltzl, espérant, à tort, faire partager son goût à ses clients. Pour Henri Samuel, Arnal réalise ses plus grandes pièces où son goût du pliage le fait osciller entre les virtuosités géométriques, les porte-à-faux et les astuces formelles : comme cette table basse « ceinturée par une bande de métal formant pieds » ou cette extravagante Chaise inox, quatre plaques de plexiglace « pincées » dans une croix métallique. La plus célèbre, parce que réalisée à plusieurs exemplaires, la table Elice, simple ruban de plexi, « pincé » comme une feuille de papier et la plus remarquable, commandée par le Mobilier national pour l’Élysée sous Georges Pompidou, est une plaque de plexi, retournée et pliée, à la fois piètement et plateau, comme un ruban de Moebius.

Le désir de toucher à l’objet
Arnal lui-même aime raconter la genèse de l’Atelier A, moment d’un désenchantement à l’égard de la peinture, d’un grand mouvement de méfiance à l’égard de l’art (mai 68), combiné à son désir (déjà exprimé dans ses « bombardements », traces laissées sur la toile d’objets solarisés et vitrifiés par d’innocents aérosols), de toucher à l’objet. Le tout combiné à ses premières expérimentations de sculptures molles (où, sacrilège, les visiteurs aimaient s’asseoir) et à l’expérience de ses premières réalisations pour Samuel. Ajoutons aussi le désir de « marquer » son environnement. Suite des jeux de l’enfance aux environs de Toulon, jeux repris dans l’œuvre, une œuvre de signes, de marques, d’empreintes, comme si l’essentiel pour l’artiste était de témoigner d’un itinéraire qui est aussi l’invention d’un monde.

Il décide alors de faire entrer l’art dans la vie, et de créer une plate-forme entre artistes, industriels et clients. C’est l’Atelier A, comme Arnal, avec son héraut Pierre Restany, et son éditeur « MMM ». Grand moment d’expérimentation, d’amitiés, d’aventure, l’Atelier A loge à la Bastille, rue Saint-Sabin et devient un haut lieu du parisianisme. « Je ne voulais pas que cela soit récupéré par les galeries et les musées, je voulais une diffusion large et en profiter pour faire connaître les artistes. »Trop tôt ? dans une ville trop timorée en matière de design ? ou stratégie commerciale trop désinvolte ? L’entreprise échoue au bout de six ans et une grande partie du stock est saisie lors d’une exposition organisée en Allemagne par Alexandre de Wägesack. Arnal échappe à la faillite en épongeant les dettes mais le pire était à venir. Alors qu’aujourd’hui les « designers » sont considérés comme des créateurs, que les artistes n’ont qu’une hâte, créer des objets pour se glisser dans un circuit économique gage de renommée, l’excursion du peintre et sculpteur fut jugée coupable. Laissées à l’écart de cet été triomphant, les fourmis de la palette et du ciseau ostracisent la cigale. « Mes peintres m’ont déconseillé de vous prendre, vous êtes devenu décorateur », lui dit un galeriste prêt à signer un contrat.

« J’ai fait le tour du monde, j’ai travaillé, j’ai repris la peinture, la sculpture, mais cet amour pour l’Atelier A est un amour qui m’a fait du mal même si j’en garde des souvenirs merveilleux. »
Restent aussi des objets merveilleux. Les tabourets SZ en plexiglace d’Arnal ; d’Arnal également, la chaise longue Formule 1 réalisée à six exemplaires qui joue les Maserati ou les bobsleighs d’appartement. Les tables émaillées signées Arnal, César, Arman, Peter Klasen, Alain Jacquet, Bernar Venet (les pieds étant démontables, un certain nombre d’entre elles ont poursuivi leur vie sur les murs des collectionneurs). Le fauteuil Fesses (empreinte) de Roy Adzak, l’audacieux mariage du bois brut et plexi d’un siège de Mark Brusse, les lampes destructurées de Jacques Misrahi et les sièges tubulaires et symétriques de Sanejouand.

Sans oublier l’ingénieux et cocasse siège Tambour d’Arman, qui a l’air de tout, sauf d’un siège dont les six exemplaires, peut-être pour cette raison, semblent avoir tous disparus. Chineurs, à vos marques !

« Atelier A », a lieu tous les jours de 9 h 30 à 19 h, le samedi 10 h-12 h 30 et 13 h 30-19 h, le dimanche 11 h-12 h30 et 13 h 30-18 h 30, jusqu’au 28 décembre. VIA, PARIS, 29-35 av. Daumesnil, XIIe, tél. 01 46 28 11 11.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : Atelier A comme Arnal

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