Foire & Salon

Asia Now et Akaa, foires de niche ou ghettos ?

Par Aurélie Romanacce · L'ŒIL

Le 26 octobre 2017 - 1105 mots

PARIS

Alors que la troisième édition d’Asia Now s’achève, Akaa, la foire d’art contemporain africain, ouvre les portes de sa deuxième édition à Paris. Retour sur ces foires qui font le choix de se spécialiser en dehors du marché occidental. Pari risqué ou vraie opportunité ?

« Alors la Chine ?, se demandait en 2004 le centre Georges Pompidou dans une exposition consacrée à l’art contemporain chinois. Treize ans plus tard, le bilan est mitigé. Le début des années 2000 fut pourtant florissant pour l’art contemporain chinois avec des artistes tutoyant les sommets des prix du marché chez Christie’s ou Sotheby’s. « Entre 2005 et 2008, le marché était devenu très spéculatif, c’en était effrayant », se souvient Magda Danysz, galeriste parisienne qui participe à Asia Now depuis le début. « Aujourd’hui, on est arrivés à maturation. Les cotes se sont confirmées pour certains, stabilisées pour d’autres, mais le marché ne s’arrête pas là. Il continue de s’étoffer même si la nouvelle génération se situe plus dans des prix autour de 50 000 euros », poursuit la marchande d’art qui partage son temps entre Paris et Shanghai depuis 2008.

Car c’est là tout l’enjeu d’Asia Now : faire découvrir les jeunes artistes aux collectionneurs français et européens en invitant une trentaine de galeries asiatiques et occidentales. « On ne connaît que les très grands noms de l’art asiatique par le prisme de l’art pop ou pompier, regrette Alexandra Fain, directrice d’Asia Now. On avait envie de montrer la jeune génération asiatique via une plateforme de ce qui se fait de plus remarquable et de plus intéressant en Chine mais aussi au-delà, dans le Sud-Est asiatique et au Japon. » C’est d’ailleurs toute la difficulté de se consacrer à la création d’un continent aussi étendu que l’Asie où « les scènes coréenne, chinoise et indonésienne n’ont pas grand-chose à voir », reconnaît Alexandra Fain. Un paradoxe que partage aussi Akaa en rassemblant trente-huit galeries de pays africains aussi différents dans leur structuration du marché que dans leurs créations que peuvent l’être l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, l’Angola ou le Sénégal.
 

Des foires conviviales où l’on prend le temps

Pourtant, cet éclectisme de création, s’il peut de prime abord décontenancer le visiteur, s’évanouit rapidement au profit de la convivialité de ces nouveaux salons. Au contraire des mégafoires comme la Fiac, Art Basel ou Frieze, les initiatives telles qu’Asia Now ou Akaa, malgré une force de frappe évidemment incomparable, attirent de plus en plus de visiteurs, curieux de faire la découverte d’artistes de pays non occidentaux dans une ambiance intimiste. « On ne parle plus que d’argent dans les grandes foires, et non plus d’art », déplore Dominique Fiat, galeriste participant à Akaa et membre du comité de sélection. Or il est impératif de « faire un travail de promotion des artistes de façon différenciée en les replaçant au centre de la création et en leur donnant les moyens de s’inscrire dans l’histoire de l’art », soutient-elle.

De fait, à Asia Now comme à Akaa, il n’est pas rare de pouvoir échanger avec un artiste sur les œuvres qu’il présente sur le stand de sa galerie. Un véritable atout pour ces salons de niche qui misent sur une autre temporalité que le rythme trépidant des foires blockbusters. Le tout dans un cadre agréable (un immeuble haussmannien pour Asia Now, le Carreau du Temple pour Akaa) afin que les collectionneurs prennent le temps de se familiariser avec une scène qu’ils ne maîtrisent pas encore. Et ça marche ! Les visiteurs séduits par la disponibilité des galeristes, ravis de donner de nouveaux repères à ces acheteurs potentiels, reviennent plusieurs fois pendant la foire, quitte parfois à conclure leurs transactions une fois le salon terminé. La preuve que même si la plupart des artistes africains ou asiatiques exposés sont encore peu connus du public français, les collectionneurs font confiance aux galeries sélectionnées.
 

Une réelle expertise à des prix abordables

Car c’est là l’une des grandes forces d’Asia Now et d’Akaa, les directrices des deux foires possèdent une réelle connaissance de la scène artistique africaine et asiatique qui leur permet d’établir une sélection rigoureuse des galeries représentées. « De plus en plus de choses se passent en Afrique et j’ai eu envie de créer une plateforme pour fédérer les différents artistes internationaux », explique Victoria Mann, la directrice d’Akaa. Ce qui suppose « un gros travail de prospection » tout au long de l’année, renchérit-elle.

De son côté, Alexandra Fain, directrice d’Asia Now, ambitionne de « montrer les artistes suivis de près par les plus grands collectionneurs locaux ou connaisseurs de ces scènes, soutenus par les meilleures galeries et placés dans les meilleurs musées et fondations privées de la région ». Car c’est bien cette expertise que les collectionneurs contemporains viennent chercher à des prix abordables, oscillant en moyenne entre 3 000 et 8 000 euros.

Magda Danysz, pour sa nouvelle participation à Asia Now, a conçu une scénographie inspirée des jardins asiatiques pour présenter le travail de sculpture peu connu du photographe Liu Bolin. Les masques (4 500 euros pièce) composés de circuits électriques et d’une webcam intégrée revisitent la tradition millénaire des sculptures de jade version 2.0 tout en dénonçant la censure exercée par la Chine sur les contestataires. De son côté, Dominique Fiat présente sur le stand d’Akaa une œuvre participative du Franco-Béninois Emo de Medeiros, Points de résistance. L’installation composée de multiples poings moulés par l’artiste dans des feuilles d’aluminium diffusent, via des enceintes, des discours de grandes figures de la résistance et invitent les spectateurs à se révolter (compter 15 000 euros pour un ensemble de cinq poings). Ces œuvres, tout en étant fortement impliquées dans la dénonciation des dérives politiques de leur pays, parviennent à livrer un message universel au-delà de leurs frontières.

Autre signe qui ne trompe pas sur le succès grandissant de ces foires pourtant récentes, les musées et institutions n’hésitent pas à se déplacer pour étoffer leurs collections ou repérer de jeunes artistes. Le Centre Pompidou a ainsi fait l’acquisition d’une série de dix photos en noir et blanc de l’artiste originaire du Mozambique Mario Masino à Akaa en 2016, tandis que la jeune vidéaste Ayoung Kim fut récompensée d’un prix découverte par le Palais de Tokyo, à la suite de son exposition à Asia Now en 2015. Et pour ceux qui souhaitent déjà parier sur les prochaines tendances, Alexandra Fain est convaincue que « la Corée, avec son marché de l’art assez vibrant et la biennale de Busan, est un pays à suivre », tandis que Victoria Mann mise de plus en plus sur les Caraïbes pour les « regards croisés portés sur la diaspora africaine » via la biennale de La Havane à Cuba et la Fondation Clément en Martinique.

 

 

« Akaa (Also Known As Africa) »,
du 10 au 12 novembre 2017. Carreau du Temple, 4, rue Eugène-Spuller, Paris-3e. De 11 h à 20 h, jusqu’à 18 h le dimanche. Tarifs : 16 et 8 €. akaafair.com

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°706 du 1 novembre 2017, avec le titre suivant : Asia Now et Akaa, foires de niche ou ghettos ?

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