Justice

Affaire Rybolovlev-Bouvier : des dizaines d’œuvres auraient été volées à la fille de Jacqueline Picasso

Par Vincent Noce · lejournaldesarts.fr

Le 22 mai 2015 - 889 mots

PARIS [23.05.15] – Ce ne sont plus 2 mais 60 œuvres signées Picasso et appartenant à la fille de Jacqueline Picasso qui se trouvent dans la collection du milliardaire russe Rybolovlev. Elles lui auraient été vendues par Yves Bouvier.

Le nombre d’oeuvres qui auraient été dérobées à la fille de Jacqueline Picasso, Catherine Hutin-Blay, dans un box qu’elle louait à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), dépasserait désormais la soixantaine. Ce nouvel élément surgit la semaine suivant l’interpellation à Paris des deux partenaires de l’entrepreneur suisse Yves Bouvier, Olivier Thomas et Jean-Marc Peretti. Interrogés deux jours dans les locaux de la Brigade de répression du banditisme (BRB), ils ont été remis en liberté en attendant leur convocation par la juge Isabelle Rich-Flament.

Le 23 mars, le parquet avait ouvert une instruction pour vol, recel et escroquerie, suite à une plainte déposée par l’avocate de Catherine Hutin-Blay, Me Anne-Sophie Nardon. La fille de Jacqueline Picasso avait été stupéfaite d’apprendre que deux portraits de sa mère, mis en sûreté dans ce box, se seraient retrouvés dans la collection du milliardaire russe basé à Monaco, Dmitri Rybolovlev.

Celui-ci affirme aujourd’hui sans ambiguïté qu’ils lui ont été vendus par Yves Bouvier. Accent Delight, une société de Rybolovlev, déclare ainsi au Journal des Arts « tenir à la disposition de la justice française les deux portraits de Jacqueline Picasso acquis auprès de M. Bouvier, qui sont visés par la plainte de Mme Hutin-Blay. La société Accent Delight, qui s'est constituée partie civile dans cette procédure, envisage de les restituer à sa propriétaire s'ils sont bien identifiés comme étant ceux lui appartenant, qui lui auraient été dérobés à Gennevilliers dans son box d'Art Transit » -la compagnie dirigée par Olivier Thomas. De son côté, Yves Bouvier confirme avoir vendu ces deux tableaux au collectionneur russe, même s’il reste à valider qu’ils seraient bien ceux visés par la plainte. Il ajoute cependant « n’avoir jamais eu la moindre idée que ces oeuvres auraient pu provenir d’un vol ».

Mais maintenant il n’est plus question de seulement deux oeuvres mais d’une soixantaine. Après sa plainte, les représentants de Rybolovlev ont en effet pris l’initiative de soumettre à Catherine Hutin-Blay 58 dessins de Picasso lui ayant été également procurés par Bouvier. Celle-ci y a reconnu des feuilles extraites de trois carnets de croquis de l’année 1955, qui se trouvaient également dans son box. L’avocate du magnat russe, Me Tetiana Bersheva, a d’elle-même fourni à la BRB tous les éléments sur toutes les oeuvres de Picasso figurant dans sa collection. Et Me Nardon de son côté a demandé à la juge d’élargir les investigations en tenant compte de ce nouvel élément. Une demi-douzaine d’autres peintures, à ce stade, sont évoquées dans les témoignages recueillis par la BRB, si bien que, aujourd’hui, l’incertitude demeure sur le nombre d’oeuvres ayant pu disparaître du box.

Rybolovlev a payé 27 millions d’euros pour les deux portraits, une huile sur toile et un dessin à l’encre de Chine rehaussé de gouache de 1957. Les 58 dessins, tous de l'année 1955, ont été valorisés pour leur part à 9 millions. Ils comptent des têtes, des nus, un croquis sur la réception de Cocteau à l’Académie française, mais aussi plusieurs études destinées aux Femmes d’Alger, la composition qui vient de faire sauter tous les records d’enchères à New York en dépassant les 160 millions d’euros.

Ce sont les enquêteurs qui ont fait le lien entre la plainte déposée à Paris et celle engagée à Monaco par Dmitri Rybolovlev, quand il a accusé Bouvier de lui avoir surfacturé des oeuvres. Celui-ci lui a fourni en une dizaine d’années une quarantaine de tableaux pour un total approchant les deux milliards de dollars. Mis en examen à Monaco pour escroquerie, ce dernier ne nie pas les faits, mais se présente comme un marchand ayant réalisé un bénéfice commercial. Il est censé fournir à la Justice monégasque ses factures d’achat, dont celle des deux Picasso...

Mais pour son défenseur, Me Luc Brossolet, « l'hypothèse qu’il ait pu s’impliquer dans un vol semble absurde. La collection de M. Rybolovlev était destinée à être exposée... comment imaginer qu'il aurait pu compromettre sa relation avec un client si important en lui cédant des pièces d'un artiste célèbre, dont l'oeuvre est surveillée par la famille, si l’origine en était douteuse ? ».

L’avocat tout comme celui d’Olivier Thomas font d’autre part observer qu’il leur est « impossible de commenter une procédure dont ils n’ont pas connaissance et dans laquelle leurs clients ne sont pas impliqués », aucune mise en examen n’ayant été prononcée. Olivier Thomas s’est cependant défendu devant les policiers en affirmant que Catherine Hutin, pour laquelle il a vendu des oeuvres dans le passé, serait confuse. Mais celle-ci maintient que jamais elle n’aurait jamais songé se séparer d’un des portraits de sa mère, qui lui sont trop chers. Les études pour Les femmes d’Alger ont aussi pour elle une importance toute particulière : Pablo Picasso trouvait à Jacqueline, dont il venait de tomber amoureux, une ressemblance troublante avec le personnage assis à gauche dans Les femmes d’Alger dans leur appartement peint par Delacroix, ce qui a déclenché son envie de reprendre le sujet présenté au Salon par le peintre romantique... « Une chose est sûre, assène Me Nardon, l’affaire est très grave, et elle apparaît beaucoup plus étendue que ce qu’on pouvait penser au départ ».

Légendes photos

Dmitri Rybolovlev (à gauche), le milliardaire russe président du club de football de l'AS Monaco - © Photo Francknataf - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0

Yves Bouvier (à droite), marchand d'art et fondateur de la société immobilière SCI R4 © Vanessa Franklin / R4

Thématiques

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque