Yvan Salomone, ainsi de suite...

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 932 mots

C’est un réflexif, exigeant et rigoureux. Il est, dans la vie comme dans son œuvre, entier, et se dévoue à une pratique exclusive, l’aquarelle.

L’homme est discret. Il n’est pas du genre à s’afficher. Consultez le site de sa galerie suisse (www.zannettacci.com) : sur le damier de portraits de la page d’entrée, il est le seul qui ne se montre pas. Son visage est remplacé par un carré gris laissant à l’internaute le soin de découvrir directement ses œuvres. Ailleurs, d’autres portraits photos n’en dévoilent pas plus : ici, il se présente en gros plan à l’objectif le visage entièrement recouvert de terre ; là, il pose devant une œuvre dans un tremblement délibérément brouillé qui permet à peine de le reconnaître. L’homme est discret. De taille moyenne mais de solide stature, les cheveux courts poivre et sel, le visage carré, de petites lunettes en forme de mandorle, il parle de façon précise avec une sorte de délectation du verbe. Quelque chose d’une conviction, voire d’une certitude, dont il cherche sans cesse à cerner les causes et les effets, émane de ses propos. Gourmand de lecture, amateur d’édition, Yvan Salomone est un réflexif. Exigeant, rigoureux, il est, dans la vie comme dans son œuvre, entier, très attaché au concept de Lebenswerk qui lie existentiellement l’une à l’autre. Sa vie, son œuvre, elles se déclinent dans une pratique exclusive – celle de l’aquarelle – et d’un motif quasi unique – celui du paysage industriel avec des ports et des docks.
Natif de Saint-Malo, où il vit et travaille, Yvan Salomone, la cinquantaine à l’horizon, a choisi son camp au début des années 1990, à contre-courant d’une époque qui ne jurait plus que par les nouvelles technologies et qui avait déclaré l’obsolescence de la peinture. C’est dire si l’aquarelle pouvait paraître pour un ouvrage de dames ! Autodidacte, passionné de peinture comme de photographie – il ne cache pas ses amours tant pour Nicolas Poussin que pour Philip Guston, pour Walker Evans que pour Robert Franck –, Salomone s’est donné les moyens d’un travail qu’il appréhende comme une discipline, respectant un protocole très précis. Trois tempos distincts – mais qui peuvent se croiser – le structurent : il y a tout d’abord celui de la constitution d’un réservoir d’images que l’artiste enregistre à l’aide de son appareil photo lors de déplacements sur différents sites maritimes ; il y a ensuite celui de l’exécution à proprement dit de la peinture, lequel s’effectue au rythme très régulier d’une aquarelle par semaine ; il y a enfin celui du catalogage de l’image réalisée et, comme un prolongement non visible du travail, de la prise de notes à son propos.

L’aquarelle pour attraper la couleur
Chaque semaine donc, après qu’il a choisi la photo sur laquelle il a jeté son dévolu, Salomone se met au travail. Dans la petite pièce qui lui sert d’atelier, il commence par en projeter l’image diapositive sur un grand papier pour en dessiner simplement la structure d’ensemble, respectant à quelques détails près la réalité enregistrée. Par suite vient le temps de la peinture. Salomone lui donne tout le sien. Cinq ou six séances de plusieurs heures sont nécessaires pour parvenir au terme de l’exercice, des séances qui l’occupent non-stop jusque dans les profondeurs de la nuit. Non que l’artiste soit de nature anxieuse mais il s’est inventé un système de travail qu’il se doit de respecter. La contrainte hebdomadaire lui interdit en effet de s’égarer et le place dans un état d’urgence permanent : il se voit en quelque sorte sommé d’agir dans cette périodicité. Rentrer dans l’expérience du paysage, faire l’expérience de la peinture, telle est sa raison d’être. Sa raison d’être peintre. Tout comme le navigateur, solitaire, fait l’expérience de la mer. Ainsi de suite, chaque semaine, l’artiste fait et refait sans cesse l’expérience de la couleur et, chaque semaine, l’aquarelle achevée, il l’inventorie, en fait une photographie qu’il transfère aussitôt sur son site et l’envoie par mail à ses « abonnés ».
Mais pourquoi donc l’aquarelle ? s’est-on souvent interrogé à son sujet. Le choix d’Yvan Salomone est simple : il n’a jamais appris à peindre, aussi l’aquarelle lui est-elle apparue comme une façon élémentaire d’aborder la peinture. De traiter la couleur. C’est une technique qui ne nécessite pas de matériel compliqué ; elle est légère, ouverte, aventureuse – un brin risquée. Elle lui permet de se servir de la couleur pour attraper la couleur. Sans doute aussi est-elle plus proche de la photographie que de la peinture, dans la fluidité de sa nature, dans l’impalpable de son étendue, dans la tension de ses couches. Salomone insiste volontiers sur l’importance des jus, des auréoles, des transparences. Ému, il se rappelle comme une image indélébile ce jour où, de retour d’une excursion au Maroc, Marrakech s’est offerte à lui dans une vision lumineuse inédite. Une expérience qu’il porte en lui comme une obsession. À juste titre, Bernard Lamarche-Vadel a célébré chez Salomone l’« exquise suavité du délayage des pigments ». Celle-ci est d’autant plus subtile que ses aquarelles font voir tout un monde industriel en suspens, déserté de toute présence humaine. Un monde d’architectures, de matériels et d’objets de toutes sortes dont les formes, strictes et silencieuses, le plus souvent centrées comme dans un portrait, confèrent à l’image une troublante, voire une inquiétante spatialité.

« Yvan Salomone – Irréversion », SÉLESTAT (67), Frac Alsace, agence culturelle d’Alsace, 1 espace Gilbert Estève, tél. 03 88 58 87 55, 22 septembre-12 décembre ; « Yvan Salomone – Pierandpier », GRAY (70), musée Baron-Martin, rue Pigalle, tél. 03 84 65 69 10, 8 octobre-19 décembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Yvan Salomone, ainsi de suite...

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