Yann Arthus-Bertrand

Toujours plus haut !

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 1 novembre 2006 - 2236 mots

Photographe engagé en faveur de l’écologie, jeune académicien, l’auteur de La Terre vue du ciel a des projets plein la tête, dont celui de faire découvrir la photo au plus grand nombre.

Consacré cette année par l’Académie des beaux-arts, où il a fait son entrée, et par la foire Art Paris, où ses photographies se sont arrachées, cet écologiste dans l’âme réalise des reportages et organise des expositions afin de sensibiliser les hommes à la protection de la planète. Ainsi, sur le site naturel du Bois de Boulogne, il vient de présenter « Vivants », soit cent soixante-dix panneaux montrant des images des plus grands photographes animaliers sur l’impact de l’homme sur la biodiversité. Exposition qui s’apprête à voyager.

Avec l’exposition « Vivants », montée  au domaine de Longchamp, quel message souhaitez-vous passer ?
Yann Arthus-Bertrand : Avec WWF et la mairie de Paris, nous voulons faire un site pilote du développement durable au cœur du Bois de Boulogne. Il y a 3,6 hectares à réhabiliter selon les normes environnementales les plus exigeantes. Nous souhaitons donc en faire un lieu d’apprentissage, à travers des animations et des expositions.

« Vivants », par exemple, comporte quatre-vingt-dix clichés d’animaux et de paysages présentés sur des panneaux de bois en plein air pour sensibiliser le public à la biodiversité et aux conséquences des actions humaines. Cette exposition ira ensuite parcourir le monde. Ces années à photographier la planète, l’homme et ses traces, m’ont transformé. Du haut de l’hélicoptère, je suis souvent pris d’un sentiment d’urgence.

Comment faire prendre conscience au plus grand nombre que nous sommes tous responsables de notre terre. C’est pourquoi chaque membre de mon équipe s’implique personnellement dans le développement durable.

Quelles sont les missions de GoodPlanet, association engagée et dont vous êtes le président ?
Je m’exprime avec ce que je sais faire, la photo. Depuis 1990, j’ai survolé une centaine de pays pour La Terre vue du ciel débouchant sur des expositions gratuites vues par plus de soixante millions de personnes de par le monde. J’ai été marqué par la beauté des sites, mais aussi par l’absence de frontières vu d’en haut, alors que c’est si compliqué d’obtenir les autorisations de survol, de passer la douane avec du matériel photo. C’est une terre à partager, mais nous n’arrivons pas à le faire. Les gens sont prêts à mourir ou tuer pour une parcelle.

De mon incompréhension devant la difficulté à vivre ensemble est né « 6 milliards d’Autres », l’un des projets de GoodPlanet. Il s’agit de compléter les images par des témoignages. Après deux ans de tournage et une équipe d’une douzaine de personnes, nous avons déjà recueilli plus de 2 500 interviews dans près de 30 pays pour découvrir comment les expériences façonnent l’identité de chacun, ce qui nous sépare et ce que nous pouvons partager, du pêcheur brésilien au milliardaire saoudien, du dentiste malien au moudjahid afghan.

Comment ces témoignage seront-ils restitués ?
Le projet « 6 milliards d’Autres » donnera lieu à une grande exposition que nous espérons libre et ouverte pour toucher un large public. Plusieurs musées ont manifesté leur intérêt. Ce travail étant universel, il devrait faire le tour du monde.

Le cœur de l’exposition sera constitué de projections des visages sur des pans de murs entiers ou, de façon plus intimiste, dans des salles propices à la confidence. Les visiteurs pourront faire partie intégrante de ces « 6 milliards d’Autres » : un espace sera réservé pour ceux qui désireront livrer leur vision du monde. Ce sera vraiment interactif, il s’en dégagera quelque chose de très fort.

Avec une série de clichés sur les chevaux présentés par la galerie Louis Carré & Cie en mars dernier lors de la foire Art Paris, vous avez été pour la première fois considéré comme un photographe d’art. Pourquoi cette reconnaissance tardive ?
Je ne me considère pas comme un artiste. Les critiques d’art non plus d’ailleurs. Je n’ai jamais été interviewé, jusqu’à aujourd’hui, par un magazine d’art. Je suis perçu comme un photographe populaire, et ça agace les critiques. Pourtant j’ai toujours eu des relations sympathiques avec les artistes contemporains.

Avec La Terre vue du ciel, le public a pris conscience comme moi que la planète même est une œuvre d’art. La beauté de la nature écrase tout, c’est une évidence, une même émotion de Tokyo à New York en passant par Kaboul. Un coucher de soleil, la neige qui vient de tomber… ce n’est pas péjoratif pour moi de faire de la « carte postale ».

En 1999, j’ai fait le tour de Paris pour trouver un lieu où exposer, mais mes photos ne rentraient pas dans le monde de l’art. Je vivais avec, ça ne me gênait pas. Encore une fois je viens du photoreportage. Et puis, au Sénat, le secrétaire général, Alain Delcamp, m’a fait confiance. Il m’a donné les clés du musée du Luxembourg. J’ai travaillé avec Robert Delpire et, ensemble, nous avons imaginé l’exposition que je voulais gratuite, ouverte tard le soir. Nous avons mis aussi quelques photos dehors, cela a été un énorme succès avec un mélange inouï de visiteurs. Même des SDF entraient.

L’expo a duré deux mois à l’intérieur du musée, puis encore quatre mois à l’extérieur, où nous avons présenté les photos dans la rue de Médicis. De partout on m’a demandé cette exposition. Une vraie chance, tout est parti de là. Nous avons fait ensuite une centaine d’expositions. De photographe, j’ai commencé à être considéré comme artiste. Dès lors que mes clichés étaient sur des murs… ça m’a montré comment on devient artiste : question d’accrochage !

Vous êtes pourtant issu d’une famille de créateurs, depuis deux siècles !
Oui, il y a beaucoup de créateurs dans la famille Arthus-Bertrand : de bijoux, de médailles, d’épées. Mes cousins, mes sœurs sont artistes. L’une a travaillé au Frac à Nevers, mon père dessine, ma grand-mère était organiste… J’ai beaucoup de respect pour les artistes.

À mes débuts, un magazine d’art disait de moi, c’est le « loft de l’art ». C’était au moment où était diffusée cette émission de téléréalité, Le Loft, qui détournait l’esprit des téléspectateurs des vrais problèmes, comme mes photos qui « embellissaient la réalité ». Sous-entendre qu’elle n’avait pas de sens m’a beaucoup peiné. Même si on n’aime pas mes clichés, c’est totalement faux. Je fais ce métier pour créer des passerelles permettant aux gens de passer vers d’autres univers. D’ailleurs j’adore lorsque j’ai l’occasion de parler avec les visiteurs qui viennent regarder mes photos.
Les dédicaces de mes livres sont pour moi des moments forts. Mes expos, tout le monde les comprend. À Londres, elle est restée trois ans dans la rue. J’ai organisé une exposition pédagogique sur le développement durable dans pratiquement toutes les écoles, collèges, lycées de France. J’en prépare une autre sur la biodiversité.

Votre présence à Art Paris a été un vrai succès…
Patrick Bongers m’a proposé de montrer quelques œuvres à Art Paris. Je n’avais jamais fait de galeries avant. Ça a extrêmement bien marché, je ne pensais pas vendre autant. Le Frac Île-de-France en a acheté huit ! J’ai vraiment compris ce que numéroter des photos veut dire. Je ne veux plus vendre certaines d’entre elles, car il ne m’en reste plus que deux exemplaires !

J’ai un projet, avec Patrick Bongers, de présenter des photos non numérotées et en même temps unique, avec un petit détail qui changera.

Vous qui avez toujours eu le souci d’ouvrir vos expositions, cela ne vous gêne-t-il pas d’entrer dans ce système de photos numérotées, plus chères et moins accessibles ?
Les photos de La Terre vue du ciel ne seront jamais numérotées, mais les clichés destinés au marché de l’art l’exigent. Art Paris ce n’est pas cela qui marquera ma carrière ; mon travail de fond c’est « La Terre vue du ciel ».

Préparez-vous néanmoins d’autres expositions personnelles dans des galeries ou les musées ?
Je le referai certainement. J’ai sympathisé avec Henri Jobbé-Duval, maître d’œuvre d’Art Paris, qui n’a pas eu de regard bloqué sur mon travail. Mais ce sont des choses qui se préparent.
L’exposition de mes photos sur les chevaux va partir dans des galeries, mais je ne veux pas tomber dans des expos élitistes. J’ai eu la chance d’être exposé dans des endroits forts. Quand une école montre mes photos, je sais pourquoi je fais ce métier.

Aujourd’hui, la photographie est à la mode, plus que la peinture. On dit souvent que la photo c’est facile. Bien sûr, il y a une démarche du photographe, un regard. Mais c’est vrai que le côté manuel, personnel, du pinceau sur la toile, du coup de burin sur un morceau de bois, ce n’est pas pareil.
Je ne veux pas dire que la photo est un art mineur. Mais il ne faut pas comparer la peinture et la photo, ce sont deux arts différents, sans hiérarchie entre eux. D’ailleurs, je collectionne les photos mythiques, celles de Capa du débarquement, cette petite fille brûlée au napalm… Ce sont des photos qui ont traversé l’histoire, c’est ce que j’aime. J’en ai une trentaine. J’ai raté le polaroïd de Yoko Ono et John Lennon dans leur lit, avec une dédicace d’Annie Leibovitz à Mapplethorpe. Il coûtait 15 000 dollars, cela m’a paru inouï. Je n’ai pas acheté ; je ne le retrouverai jamais.

Quels artistes affectionnez-vous ?
C’est très difficile à dire. Chez les photographes, j’aime Suzanne Sontag, Annie Leibovitz. Je suis épaté par Avedon, Penn, et j’apprécie Antoine d’Agata, William Klein. J’aime aussi le Land Art et ses photographes : Nils Udo, Richard Long, Andy Goldsworthy.

J’apprécie Christo pour ses installations. Ma sœur Béatrice fait des tableaux à partir de pierres et de galets dont je me sens très proche. L’art aborigène me parle évidemment. J’ai eu une émotion forte aussi avec Kandinsky à Beaubourg et, un grand choc en peinture à New York avec Lucian Freud il y a quelques années. J’aime aussi l’art éphémère et celui qui se rapproche de l’essentiel, dans lesquels les artistes s’engagent. Il n’y a pas assez d’artistes engagés aujourd’hui. Ils sont trop tournés vers leur ego, au lieu d’être tournés vers l’extérieur.

Quels sont vos musées préférés ?
Ceux que je ne connais pas encore ! Je vais voir beaucoup d’expositions, beaucoup de musées, car j’y puise aussi de l’inspiration. Généralement j’ai toujours une émotion. Au MoMA j’ai été touché par la salle Rothko et les toiles de Jackson Pollock. J’aime le pointillisme de Seurat mais aussi l’hyperréalisme, mais tout ça ne vaut pas pour moi la vision d’un glacier qui descend de la montagne. Si je devais vraiment choisir un musée, je choisirais le musée d’Art brut de Lausanne. Les Arts premiers à Paris m’ont plu aussi. L’art brut me parle, car il est proche de la nature.

Pourquoi avez-vous accepté d’entrer à l’Académie des beaux-arts ?
L’Institut de France me l’a proposé. Il y a toujours un peu de vanité chez l’homme ! J’ai répondu que si je devenais académicien, c’était vraiment pour m’investir. Je ne pensais pas que mon entrée à l’Académie aurait une telle portée : j’ai reçu 200 lettres de soutien, de mes amis, et même de Jacques Chirac !

À l’Académie, ce siège a été créé, je n’ai donc pas eu de « cour » à faire. Je me suis fixé comme chantier de faire entrer la photographie à l’école. On y apprend aux enfants à jouer de la flûte, mais jamais on ne les sensibilise à la photo alors qu’ils en feront toute leur vie !
J’entretiens des liens étroits avec l’Éducation nationale depuis mon exposition dans les écoles. Je voudrais qu’un jour par an, un photographe, un directeur photo, un iconographe… aille dans une école montrer ce qu’il fait. On peut dire tellement de choses avec une photo, des mises en scène d’elle-même par Sophie Calle à la photographie de guerre !

Je suis pour que l’on puisse télécharger des photos, que les clichés se baladent. Au début, j’ai été souvent attaqué là-dessus par les autres photographes. Mais Internet, c’est magique, n’importe quel jeune photographe peut mettre ses photos en ligne et se faire connaître !

Votre épée sera-t-elle réellement conçue dans des matières recyclées ?
Oui. L’artiste ne doit-il pas être toujours un peu révolutionnaire ? Je la veux molle et pas pointue afin qu’elle ne fasse pas de mal. Stark va la dessiner.

Aimez-vous l’uniforme ?
J’en possède déjà un : j’ai été nommé peintre de la marine, un corps très prestigieux. Je suis sous-officier et je peux aller sur les bateaux. J’adore croiser des univers différents. Artiste et journaliste, j’assume les deux et, je fais cela parce que je m’intéresse aux autres. Cet engagement, c’est ce qui donne du sens à ma vie. J’ai toujours fait aussi des photos de catastrophes, mais l’esthétique de certaines prises de vues a gommé aux yeux de certains la dénonciation des problèmes. C’est pourquoi les légendes de mes photos sont plus importantes que les prises de vues.

Biographie

1946 Naissance à Paris. 1967 Dirige une réserve naturelle en France. 1976 Parti au Kenya pour étudier les lions, il devient photographe. 1981 Parution de Lions son premier livre. 1989 Sa carrière de photoreporter le conduira à survoler une centaine de pays et à couvrir 10 Paris-Dakar. 1995 Entreprend la création d’une banque d’images de La Terre vue du ciel. 2003 Lance le projet 6 milliards d’autres. 2006 Avec Lucien Clergue, il devient le premier immortel de la nouvelle section photo de l’Académie des beaux-arts.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°585 du 1 novembre 2006, avec le titre suivant : Yann Arthus-Bertrand

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