Photographie - Justice

Action en justice

William Klein à sa juste valeur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 novembre 2005 - 816 mots

Bernard Saint-Genès et Jean-Marc Bustamante attaquent le photographe à qui ils reprochent des retirages d’images d’un portfolio datant de 1978.

PARIS - Un procès oppose actuellement Bernard Saint-Genès et l’artiste Jean-Marc Bustamante au photographe William Klein. Cette procédure tient autant d’une volonté de clarification du marché de la photo que de la lutte d’ego.
En 1978, Bernard Saint-Genès et Jean-Marc Bustamante éditent à cinquante exemplaires un portfolio d’images emblématiques prises par William Klein à New York. Baptisé New York 54-55, l’ouvrage comprend douze tirages argentiques réalisés par Bustamante, alors assistant de Klein, et signés et numérotés par le photographe. Klein, qui avait alors abandonné la photographie pour le cinéma, signe un contrat stipulant qu’il ne pouvait procéder à des retirages de ces photos, sauf dans un format supérieur à 80 cm de largeur. Un contrat qu’il n’aurait plus respecté depuis 1995. En 2003, Bernard Saint-Genès fait saisir sur la foire parisienne Paris Photo des retirages qu’il considère comme illicites. En décembre de la même année, il attaque Klein pour violation de contrat et exige des dommages-intérêts d’un montant de l’ordre de 650 000 euros. « Ils étaient jeunes, ils ont voulu faire un coup avec moi, mais ils n’avaient pas la capacité de gérer une édition ni de la vendre, fulmine William Klein. C’était un contrat léonin illégal. Je l’avais accepté sans beaucoup y penser, je ne voyais pas les photos comme des objets de vente. C’était en plus très mal tiré. » Ce contrat témoigne pour le moins d’une rare prescience du marché de la photographie. Il faut rappeler que, dans les années 1970, les notions de numérotation et de retirage étaient aussi balbutiantes que le marché de la
photo lui-même. « La somme de 70 800 francs qu’a alors touchée Klein était dérisoire. Nous discutons de la nullité du contrat et de sa révision éventuelle », indique Bernard Jouanneau, avocat de William Klein. Si le contrat est révisé, faute d’être annulé, Me Jouanneau réclame pour son client un dédommagement d’un montant de 65 437 euros.

Tirages dénigrés
Le procès prend une autre tournure lorsque Jean-Marc Bustamante intervient dans la procédure en avril 2005. Selon lui, la vente de tirages frauduleux (1) aurait eu pour effet de dévaloriser le prix du portfolio. Il réclame ainsi 212 000 euros au titre de perte de valeur des sept portfolios qu’il possède, mais aussi 30 000 euros de dommages-intérêts pour le dénigrement de la part de Klein de son travail de tirage, alors même que ce dernier avait signé les bons à tirer. Bustamante n’a pas souhaité s’exprimer sur cette affaire, précisant juste qu’il « ne veut pas gêner la rétrospective de Klein au Centre Pompidou » qui démarre le 7 décembre (jusqu’au 20 février 2006). Difficile pour l’heure de juger de l’impact de ces retirages sur la cote du portfolio. En décembre 2003, Jean-Marc Bustamante avait mis en vente chez Artcurial un exemplaire, adjugé pour 11 432 euros. Une somme voisine des 10 755 dollars (10 000 euros) enregistrés par ce portfolio en avril 2003 chez Phillips, bien avant le début du procès. Plusieurs échanges d’écritures entre les parties mettent en avant les prix corsés des albums des contemporains de Klein. Un album de Lee Friedlander mis en vente en avril 2005 a ainsi décroché 84 000 dollars, un autre de Diane Arbus 553 600 dollars. Dans le même temps, un portfolio de Klein est resté invendu sur une estimation de 15 000-20 000 dollars. Ce même exemplaire s’était toutefois vendu pour 10 755 dollars en octobre 2003 chez Christie’s. Il n’était dès lors pas raisonnable de le proposer cette année pour 15 000 dollars. La comparaison avec les autres monstres sacrés de la photographie n’est d’ailleurs pas forcément pertinente. « Klein a été ignoré des Américains pendant plus de trente ans, rappelle Catherine Dérioz, directrice du Réverbère, la galerie lyonnaise du photographe. Il a été accueilli par la France où son livre mythique New York est sorti en 1956. Le marché américain a récupéré Klein tardivement, dans les années 1990. Même encore maintenant, le marché américain ne lui a pas offert les plus grands musées. »

Purger le marché
Le caractère calleux et mégalomane de Klein n’est pas étranger à l’arrivée de Bustamante dans cette affaire. « Au-delà du fond, c’est aussi la sanction d’une attitude générale de Klein, dénigrante et procédurière », confie Alexis Fabry des éditions Toluca, lequel avait édité en 1997 un livre avec William Klein. D’après Bernard Jouanneau, Jean-Marc Bustamante craint que la dévalorisation du portfolio ne porte atteinte à l’ensemble de son travail.
Au-delà du règlement de comptes entre deux artistes, certains espèrent que cette très longue procédure permettra de purger le marché en imposant des règles strictes. Dans le maquis des retirages dans des formats différents, il est encore difficile de ne pas y perdre son latin.

(1) Le prix des retirages varie entre 2 000 et 2 500 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : William Klein à sa juste valeur

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