Faux

Vrais ou faux Van Gogh : quinze mois après notre première enquête

La controverse s’est amplifiée, les musées acceptent de participer au débat

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 733 mots

L’an dernier, le Journal des Arts (n° 39, 30 mai) publiait une enquête révélant que plus d’une centaine de Van Gogh étaient remis en question, et rendait compte des analyses parfois opposées des différents experts. Depuis, la controverse s’est amplifiée, les musées sont entrés dans le débat. Ainsi, la National Gallery de Londres a organisé un symposium consacré en particulier aux Tournesols, et Orsay prépare une exposition sur la donation Paul Gachet. Mais, surtout, certains musées ont étudié leurs collections et déclassé certains Van Gogh. Martin Bailey, correspondant de notre partenaire éditorial The Art Newspaper qui avait mené la première enquête, constate aujourd’hui que l’authenticité de dix-huit œuvres conservées dans des collections publiques est sujette à caution.

L’authenticité de dix-huit œuvres de Van Gogh conservées dans plusieurs collections publiques est actuellement remise en cause, certaines étant même considérées dès à présent comme des faux. La plupart ont été décrochées des cimaises, notamment au Musée Van Gogh, au Kröller-Müller Museum, au Detroit Institute of Arts et au Nationalmuseum de Stockholm. Toutes sont répertoriées dans la version révisée du catalogue raisonné de l’œuvre de Van Gogh publiée par Jan Hulsker en 1996. Sur les dix-huit œuvres en question, douze sont cataloguées comme datant du séjour de l’artiste à Paris, entre 1886 et 1888, soit les deux tiers, alors que 16 % seulement de la production de Van Gogh date de cette époque. Les années que le peintre a passées dans la capitale ne sont pas très bien documentées : Vincent vivait avec son frère Théo, et très peu de lettres ont survécu. Les faussaires en ont donc profité pour introduire sur le marché des tableaux pouvant dater de cette période parisienne. Aucune des œuvres citées dans notre enquête n’est répertoriée dans le catalogue de Jan Hulsker comme datant des débuts de Van Gogh aux Pays-Bas. Pourtant, près de la moitié de son travail a été réalisé à cette époque. La valeur des œuvres de la période hollandaise étant très largement inférieure, elles sont moins intéressantes pour les faussaires.

Cinq de ces dix-huit œuvres sont conservées au Musée Van Gogh. Sa collection est presque entièrement issue de la donation de la famille Van Gogh, et remonte directement à Jo Bonger-Van Gogh, la veuve de Théo. Les faux seraient en fait des attributions abusives, initialement attribuées à Vincent mais, en réalité, exécutées par des artistes de son entourage. Sur les treize qui appartiennent à d’autres collections publiques, seules deux sont signées – ce qui n’a rien de surprenant, puisque le peintre n’en a signé que fort peu – et elles pourraient être des faux. En raison de son importante collection, le Kröller-Müller Museum compte à lui seul six toiles suspectes. Ce chiffre élevé tient également aux recherches approfondies effectuées par le musée lui-même.

La plupart de ces dix-huit œuvres sont connues depuis longtemps. Outre les cinq conservées au Musée Van Gogh, quatre semblent être apparues sur le marché entre 1900 et 1910, sept entre 1910 et 1920, et deux ultérieurement. Ainsi, la plupart des “vrais” faux datent du tout début du siècle, à une époque où la cote du peintre commençait déjà à monter.

Notre enquête soulève à nouveau la question du rôle joué par les frères Schuffenecker, soupçonnés d’avoir peint et vendu des faux Van Gogh. Nature morte au panier et Paysage montagneux près de Saint-Rémy, qui font partie des œuvres déclassées du Kröller-Müller Museum, ont été vendues par le marchand Amédée Schuffenecker peu avant 1912. Deux autres huiles pourraient avoir été exécutées par Émile, le frère aîné d’Amédée, ou par un artiste de leur entourage. De l’avis du Pr. Mark Roskill, Paysage près d’Auvers (Museum of Art, Rhode Island School of Design) “pourrait bien sortir de l’atelier Schuffenecker”. Selon Görel Cavalli-Björkman, conservatrice en chef du Nationalmuseum de Stockholm, les experts estiment que le Champ de blé de son musée serait également un Schuffenecker. Cependant, elle-même n’a pas d’avis définitif, comme beaucoup de ses confrères qui ne sont pas encore parvenus à un verdict. Ces institutions ont souvent sollicité l’aide d’experts extérieurs. Plusieurs d’entre eux avaient déjà apporté leur contribution à diverses reprises : Roland Dorn (spécialiste allemand), Walter Feilchenfeldt (marchand zurichois spécialiste de Van Gogh), Bogomila Welsh-Ovcharov (de l’université de Toronto), Mark Roskill (de l’université du Massachusetts), Ronald Pickvance (spécialiste britannique) et Liesbeth Heenk (spécialiste hollandaise des dessins de Van Gogh). Les conservateurs du Musée Van Gogh ont également prêté main forte à plusieurs musées.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Vrais ou faux Van Gogh : quinze mois après notre première enquête

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