Château

Vaux-le-Vicomte, le prix à payer

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2008 - 979 mots

Créer une fondation ou continuer à développer les ressources commerciales ? Les propriétaires de ce joyau de l’architecture française s’interrogent.

Une fois passée la billetterie, où le visiteur s’est déjà délesté de 12,50 euros, et avant la grande boutique, passage obligé avant la sortie, une petite baraque en bois invite qui veut, moyennant 5 euros, à signer son nom sur l’une des ardoises qui sera posée sur la nouvelle toiture du château, en cours de restauration. Même Eva Longoria et son époux Tony Parker l’ont fait : nul n’ignore, en effet, que le couple star sportivo-hollywoodien s’est marié en juillet 2007 dans le cadre prestigieux du château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne), offrant une publicité inespérée à ses propriétaires. Ce genre de prestation – la vente d’ardoises – sert-elle vraiment la réputation des lieux ? Jean-Charles de Vogüé, directeur marketing et commercial du site depuis 2001, son instigateur, l’assume sans rougir : « cela ne rapporte quasiment rien, car il faut une personne pour s’en occuper, mais les visiteurs apprécient ». Cela est bien le problème d’un château comme celui de Vaux-le-Vicomte, propriété de la famille Vogüé depuis 1875. Il faut attirer toujours plus de public pour maintenir à flot ce gigantesque monument historique entièrement classé, où les chiffres s’affolent : 2 hectares de toiture, 100 pièces, dont 35 ouvertes au public, 300 hectares de jardins à la française, 500 hectares de parc classé….  Ouvert au public 8 mois par an depuis 1968, le château attire annuellement en moyenne 250 000 visiteurs et génère 5 millions d’euros de recettes grâce à la billetterie, aux restaurants, à la boutique, aux tournages de films, séminaires et autres événements. « C’est aux visiteurs que nous devons quasiment toutes les restaurations », reconnaît Jean-Charles de Vogüé. À cause des travaux, les propriétaires accusent pourtant un déficit de 400 000 euros par an. La faute notamment à une brouille entre Patrice de Vogüé, son père, et Jacques Moulin, l’architecte en chef des monuments historiques (ACMH), suite à laquelle l’État a suspendu toute subvention pendant 12 ans. En 2005, alors que la date centenaire fatidique de réfection de la toiture approchait, les Vogüé sont donc allés voir le ministre de la Culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres. Ils ont obtenu un réengagement de l’État à hauteur de 40 %, pour un chantier chiffré à 3,5 millions d’euros piloté par un nouvel ACMH. Le Conseil général de Seine-et-Marne (PS) a accepté de mettre une rallonge de 10 %, laissant à la famille une note de 400 000 euros par an. Celle-ci s’ajoute aux travaux courants, mais aussi aux mises aux normes obligatoires (électricité, eaux usées, sécurité...).

Augmenter les ressources
Comment font donc les Vogüé pour assumer cette charge ? Patrice de Vogüé, qui a reçu le domaine d’Alfred Sommier en cadeau de mariage – il dut alors vendre trois fermes pour payer les droits de succession – puise dans la fortune reçue en legs et placée dans plusieurs sociétés immobilières. Tous les ans, il vend pourtant ce qu’il reste de la collection de son aïeul, « à l’exception des œuvres du XVIIe siècle », précise son fils. Les photographies anciennes témoignent, en effet, du démeublement – de plus en plus prégnant – des salles du château, que la famille a quitté en 1971 pour s’installer dans les communs. « Nous décapitalisons tous les ans, confirme Jean-Charles de Vogüé. C’est le prix à payer pour continuer à jouir de Vaux. Mais il faut que nous trouvions une solution rapide pour augmenter nos ressources, car nous ne tiendrons pas 10 ans de plus ». L’espoir né de la nouvelle loi sur le mécénat, en 2003, est pourtant vite retombé : elle interdit à tout propriétaire privé bénéficiant d’un chiffre d’affaires commercial supérieur à 60 000 euros (hors billetterie) de bénéficier de dons en numéraire. « Pour moi c’est une énorme injustice, poursuit Jean-Charles de Vogüé, car quand le château de Fontainebleau perçoit un million d’euros d’un émir, il me fait une concurrence déloyale ». De nombreux tours opérateurs font ainsi un choix entre ces deux fleurons du département. De son côté, l’Association des Amis de Vaux, gérée par l’un de ses frères, ne peut, statutairement, contribuer qu’aux acquisitions et aux expositions.
Aux dires de certains proches, Patrice de Vogüé aurait le projet de créer une fondation – éligible au mécénat –, afin d’assurer la pérennité du domaine mais aussi régler le délicat problème de la succession entre ses trois fils. L’idée ne fait pourtant pas consensus au sein de la famille. « Cela signifierait léguer de manière irrévocable notre patrimoine à des tiers et donc arrêter une histoire familiale longue de plus d’un siècle » déplore Jean-Charles de Vogüé. D’où la volonté de ce gestionnaire, passé par les services marketing de l’équipementier Nike avant de reprendre la barre du château, de développer à tous crins les ressources propres du domaine. Les solutions passent notamment par une amélioration de l’accessibilité depuis Paris et par un renouvellement de l’offre, en jouant notamment sur le trop plein de Versailles – éternel concurrent. Sa dernière fierté est d’avoir reconstitué la grande fête de Nicolas Fouquet, le bâtisseur des lieux, du 17 août 1661. Quitte à tomber dans le parc d’attraction ? « Vaux n’est pas Disneyland, rétorque Jean-Charles de Vogüé. Il s’agit d’un spectacle haut-de-gamme, pour lequel nous recréons des costumes du XVIIe siècle ». Si ces prestations semblent satisfaire les visiteurs, elles ne suffiront pourtant pas à en assurer la pérennité financière. D’où le projet de louer une partie des communs, après en avoir déménagé le Musée des équipages, pour accueillir des bureaux, voire même une maison de retraite. Jean-Charles de Vogüé a également été approché par une chaîne hôtelière, prête à financer les travaux pour occuper l’un des sites les plus prestigieux d’Île-de-France. Son père y semble encore réticent. Mais pour combien de temps si la loi mécénat n’évolue pas ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Vaux-le-Vicomte, le prix à payer

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