Valerio Adami, vers l’extase

L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 938 mots

De la forme close à son ouverture, de l’invisible à son masque, du trait à la couleur, de la lumière philosophique à sa figuration.

Haut de taille, d’allure aristocratique, le dos légèrement courbé comme s’il épousait l’arrondi de son sourire affable, le visage en lame de couteau aiguisé par de petites lunettes rondes, Valerio Adami nous ouvre la porte de son atelier. Artiste du déplacement, il passe d’un atelier à l’autre, au cœur de civilisations différentes et de lumières contraires, de Paris à Monaco, d’Italie en Inde, ramenant plusieurs langues vers un propos unique entendu par plusieurs ciels. C’est en 1955, à l’âge de dix-neuf ans, que Valerio Adami vient pour la première fois à Paris, après avoir reçu une formation académique aux beaux-arts de Brera, à Milan. L’abstraction qui domine alors la scène artistique s’appuyant sur la subjectivité de l’artiste ne permet pas au jeune peintre de trouver sa voie. Dans un monde de conflits, la peinture ne devait plus parler à la première personne, mais retrouver une conscience politique et le moyen de représenter l’espoir d’un homme nouveau à travers une figuration parlante. Le peintre confie cependant avoir été déçu par cet idéal et son travail est allé de plus en plus, dit-il, « vers cette figuration de l’extase ». Aujourd’hui, dans l’atelier de la rue Becquerel à Paris, une lumière diffuse et régulière donne à ce grand espace ordonné une impression de sérénité et de recueillement. On comprend immédiatement qu’il s’agit là d’un atelier de la pensée avant même d’être celui de la peinture. Lecture, notations et écriture font partie d’une nécessité quotidienne, aiguisant un imaginaire littéraire qui peut faire vivre le tableau : à partir des années 1970, une série de portraits apparaîtra, comme ceux de Gandhi, James Joyce, Freud, Benjamin, Nietzsche ou Wagner. Dressées, préparées, deux grandes toiles vierges patientent au fond de l’atelier et à même le sol, serrés les uns contre les autres, une multitude de pots de peinture acrylique. Chaque couvercle fait sonner une gamme de tonalités qui résonne comme un grand instrument. Mais c’est avant tout l’intériorité du dessin qui mènera vers la couleur. Dessinateur absolu, Adami s’accompagne d’œuvres d’Appiani, Giacometti et Miró qui ouvrent l’atelier. Et c’est avec virtuosité que le peintre nous confie ses réflexions retraçant à grands pas l’histoire de l’art et de la pensée d’Aristote à Derrida.

Le dessin pour penser la couleur
À Monaco, l’éclat méditerranéen ne distrait pas le monde intérieur de l’atelier. Sur un piano à queue une petite fumée presque invisible distille une odeur d’encens. On retrouve deux toiles côte à côte, comme à Paris. L’une est inachevée, précise le peintre, « les formes n’ont pas encore trouvé leur point de retour, la mise en scène n’est pas terminée ». « Je crois que je peux dire que la toile est achevée, terminée quand la forme se referme sur elle-même, quand un état d’âme se transfère dans le cœur du peintre. Il y a quelque chose que tu transfères dans le tableau et qui revient sur toi. » Le dessin d’Adami suit la ligne invisible d’une pensée, et fait apparaître peu à peu, un concept, une allégorie ou un mythe qui s’exprime à travers une forme close, c’est-à-dire une forme « qui part d’un point et qui revient avec la ligne à ce point de départ », le contraire de l’esquisse ouverte, inachevée. Le peintre précise : « La vérité d’un concept s’exprime dans la rhétorique d’une forme. »
À travers le langage des formes, peindre articule une parole. Une fois le dessin terminé, Adami le reporte au détail près à la dimension de la toile. Il n’y a pas une toile qui n’ait son origine dans un dessin, pas un dessin qui ne donnera lieu à une toile. Le dessin « est la manière de penser et la couleur la manière avec laquelle on peut donner un sens à la parole. Vous pouvez dire un mot avec amour, ou le même mot avec haine et c’est ça la couleur ». Le peintre ajoute : « La couleur est la critique du dessin. » La couleur symbolise l’état d’âme. Dans l’une des toiles, intitulée Mélancolie, thème et variation, le peintre désigne la nostalgie éprouvée en quittant le Bosphore par un aplat orangé, uniforme. Inspirée par la lumière rougeoyante du soir, la couleur prend sur la toile une valeur symbolique, à distance de toute approche naturaliste. À gauche de la toile, un ange assis réfléchit l’humeur mélancolique du paysage. Le sentiment initial de l’artiste est mû dans un espace scénique où la subjectivité des visages disparaît derrière un masque, et les corps derrière une carapace. « L’expression dans un portrait doit davantage sortir de la construction plastique de la forme que de l’expression simple et élémentaire qui se figure sur un visage. »
Mais il ne faudrait pas que l’œil, en regardant une toile d’Adami, s’arrête à l’analyse des rythmes plastiques. En effet, si l’on peut comparer son travail d’un point de vue formel avec le peintre italien
Alberto Magnelli, l’un des grands précurseurs de l’abstraction, ou bien à Fernand Léger, Adami
affirme avant tout, avoir été bouleversé et profondément marqué dans sa jeunesse par la peinture de Kokoschka. Et Valerio a retenu de son maître, la dimension spirituelle, philosophique d’un tableau. En définitive, la grande vigueur du trait et de la couleur dans l’œuvre d’Adami doit faire rayonner, au-delà de l’image représentée, « la vérité invisible » de l’extase, moment d’arrêt et de méditation, ultime point de retour de l’œuvre vers
le spectateur.

« Valerio Adami », galerie Templon, PARIS, 30 rue Beaubourg, IIIe, tel. 01 42 72 14 10, 28 octobre-23 décembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Valerio Adami, vers l’extase

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