Une ville sans frontières

Par Françoise Chaloin · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2012 - 785 mots

À Gand, « Track », exposition-manifeste, interprète la cité comme « un espace ouvert sur le monde ». Certains artistes se sont plus impliqués que d’autres dans le dialogue avec la « vraie ville ».

La façade du musée affiche en grosses lettres « Track », titre qui s’est substitué au nom de « S.M.A.K. » le temps de la manifestation éponyme qui a pris possession non seulement de l’institution mais de la ville entière. Si l’on pense, dès qu’il est question d’art dans l’espace urbain, à « Skulptur Projekte », l’invitation renouvelée tous les dix ans à Münster depuis 1977 à nombre d’artistes, l’histoire artistique de Gand est marquée par « Chambre d’amis », qui a vu en 1986 les amateurs d’art ouvrir leur maison à 51 artistes pour y créer une œuvre in situ, puis « Over the Edges » en 2000. Des projets portés par les conservateurs Kasper König en Allemagne ou Jan Hoet à Gand, relayés aujourd’hui par le directeur artistique du S.M.A.K., Philippe Van Cauteren, associé pour l’occasion à Mirjam Varadinis, de la Kunsthaus de Zurich.

Pour « Track », le duo de commissaires a réfléchi à une liste de lieux  emblématiques de la réalité de la ville d’aujourd’hui, parallèlement à une liste d’artistes, certains espaces appelant certains noms. Il a encouragé un dialogue avec la « vraie ville », non réduite à son centre historique, et, après y avoir défini six zones, six « clusters qui […] ont chacun leur spécificité, […], leurs beautés, leurs problèmes », a convié 41 artistes à intervenir dans la cité flamande. Ainsi, au cœur du quartier « Citadelle », offert à la mobilité, Tazu Rous a perché une chambre d’hôtel au sommet de la tour de la gare Saint-Pierre, permettant à ses locataires d’une nuit une proximité inédite et non plus fugitive avec son horloge. Dans le restaurant turc Alaturka, situé au centre-ville, le collectif  Superflex a installé la copie exacte des toilettes d’un bâtiment siège du Conseil de l’Europe à Bruxelles, allusion aux difficiles négociations liées à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne… Autre rappel d’une utopie, celui d’Ahmet Ogut qui fait flotter dans le ciel, au-dessus du Vooruit, un rocher géant inspiré du Château des Pyrénées (1961) de Magritte et surplombé d’une réplique de l’ancienne coopérative ouvrière. Dans ce même quartier universitaire (Blandijn), Massimo Bartoli a construit une bibliothèque en plein air fonctionnelle. L’œuvre, parmi les plus réussies de l’exposition car finement ajustée à son contexte, prolonge dans son dessin le vignoble de l’abbaye Saint-Pierre et reprend l’inclinaison du jardin.

Pauvreté et migration
Ailleurs, c’est le thème de la migration, en lien avec le quartier Macharius, qui a inspiré à Mircea Cantor la reconstruction d’une maison de bois roumaine, dont l’histoire de son origine à son abandon a été donnée à chanter le jour de l’inauguration à un soliste de musique traditionnelle roumaine. Non loin, en contrebas de l’axe de circulation de la gare Dampoort, par où transitent les émigrés entrant dans la ville, Tadashi Kawamata a dressé, dans le bassin de virage, un alignement de petites cabanes de bois, fragment de bidonville à fleur de l’eau.

Espaces industriels ou club de boxe désaffectés, terrains vagues, hôtel particulier vide, façades de bâtiment, faculté d’économie ou centre psychiatrique reçoivent encore les œuvres de John Bock, Peter Buggenhout, Lawrence Weiner ou Lara Almarcegui. Les installations les plus démonstratives se situent finalement dans le parc du S.M.A.K., où Leo Copers a disséminé un nombre incalculable de pierres tombales gravées au nom des musées les plus prestigieux du monde. Mais aussi au Musée des beaux-arts, réquisitionné pour abriter la pièce de Dahn Vo : des fragments en cuivre – un matériau trop convoité – de la statue de la Liberté.

D’autres artistes se sont plus impliqués dans la vie d’un quartier, souvent excentré. Dans un parc de logements sociaux voués à disparaître après le décès de leurs derniers occupants, Benjamin Verdonck a accroché à un arbre le modèle réduit mais restant habitable d’un de ces bungalows  des années 1950, commentaire poétique sur le temps. Tandis que Mark Manders a installé son atelier dans l’ancienne demeure, classée, d’un industriel du textile (la maison Voortman), trouvant dans son atmosphère légèrement surannée et précieuse, détonnant avec l’environnement, le cadre parfait de son Autoportrait en bâtiment.

TRACK

Jusqu’au 16 septembre, 14 sites dans Gand, du mardi au dimanche 12h-18h, track.be. Deux jours sont nécessaires pour visiter les 6 « clusters », comportant chacun un point de rendez-vous, Gentinfo : tél. 32 9 210 10 10.


Track s’inscrit dans le programme « Visual Art Flanders 2112 », qui réunit cinq expositions d’art contemporain en Flandres, parmi lesquelles Manifesta 9 à Genk, et propose un pass à leur public : www.visualartflanders2012.be

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Une ville sans frontières

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